Un certain jour de septembre 2001, un certain 11, déjà, je revenais tout juste du Festival du Cinéma Américain de Deauville, l’après-midi même, lorsque j’assistai à ces images terrifiantes, improbables, défiant la raison, l’habituel, et l’humanité. Je ne savais plus trop si c’était réel ou bien si je confondais la fiction et la réalité après ces dix jours, toujours surréalistes, dont on revient dans une sorte de délicieux brouillard onirique. Ce n’était pas un rêve cette fois , c’était un cauchemar, un cauchemar bel et bien réel, même s’il paraissait plus irréel encore que toutes ces images issues de l’imagination débridée des cinéastes américains, un cauchemar que même eux n’avaient osé imaginer. Pas encore, du moins. Cinq ans, il a fallu cinq ans pour que le cinéma s’empare de cette irréelle réalité... Et cinq ans plus tard c'est encore au Festival du Cinéma Américain de Deauville que j'y assiste. Cette fois, c'est bien une fiction, une fiction inspirée de la réalité...Cinq ans, quand même finalement.
Pitch:
11 septembre 2001 : une chaleur étouffante règne dès le lever du jour dans les rues de New York. Will Jimeno (Michael Pena), du Port Authority Police Department, se demande s’il ne va pas prendre un jour de congé. Il choisit finalement de se rendre au travail et rejoint le sergent John McLoughlin (Nicolas Cage), alors que celui-ci et ses collègues commencent leur tournée quotidienne dans les rues de Manhattan… Voilà ce que je vous écrivais en Mai dernier à l’issue de la projection des vingt premières minutes au Festival de Cannes, en avant-première mondiale :« Les images d’Oliver Stone nous paraissent presque plus réelles que celles d’alors parce que nous savons que c’est possible, que ce fut réel, que nous avons encore tous en tête les images des avions s’encastrant dans les tours maintes fois diffusées. Apparemment Oliver Stone a choisi de ne pas les montrer mais de suivre des policiers partis sauvés des personnes enfermées dans les tours. Il nous montre d’abord les rues paisibles de New York, l’ombre et le bruit d’un moteur d’avion, la menace qui plane, puis les policiers personnifiés qui se dirigent vers le World Trade Center, sans vraiment s’étonner comme si ce n’était que du cinéma, comme s’il croyait qu’une fois le générique de fin passé, tout rentrerait dans l’ordre les deux tours surplomberaient à nouveau Manhattan, banalisant la réalité en simple cauchemar évanoui, une fois le mauvais rêve terminé. Lorsque les policiers arrivent sur les lieux l’atmosphère est apocalyptique. Oliver Stone a choisi de filmer comme il filmerait un champ de bataille. La caméra vacille comme le monde a vacillé dans l’improbable. Des cris assourdissants, de la fumée aveuglante, des hommes ensanglantés, des visages affolés. J’imagine déjà la suite : la musique grandiloquente, le patriotisme glorifié, le sauvetage héroïque, les gros plans sur les larmes, les visages bouleversés et reconnaissants, et la leçon de morale avec la bannière étoilée flottant fièrement à la fin. J’imagine aussi ceux qui dans quelques années verront ces images sans avoir vu les autres, les réelles, se disant que ce n’était que du cinéma, ou ne sachant plus très bien. La lumière de la salle Debussy se rallume, les spectateurs hésitent, ne savent pas s’ils doivent applaudir, puis se résolvent à de très timides applaudissements. J’étouffe. Ce n’est finalement pas que du cinéma. Comme la moitié de la salle je sors sans revoir Platoon. Dehors, Cannes est toujours aussi frénétique, lumineuse, paisible malgré tout. Dehors, à peine sur les marches (bleues celles-là) de la salle Debussy les festivaliers évoquent déjà la prochaine soirée à laquelle il faut absolument être qu’ils relateront avec un air dédaigneux et blasé, le prochain dîner forcément moins bien que le prochain, le festivalier en étant un consommateur insatiable, jamais rassasié, jamais content(é). »
Alors? Ai-je changé d’avis en voyant le film dans son entièreté ? Pas vraiment. Lorsque, avant la projection, la présentatrice annonce Oliver Stone elle réclame une standing ovation (d’ailleurs il faudra qu’on m’explique l’intérêt d’une standing ovation lorsqu’elle manque autant de spontanéité, lorsqu’elle est ainsi commandée). Elèves bien disciplinés et tout de même reconnaissants du cinéaste en question dont c’est la première venue sur les Planches, nous nous levons. Puis, elle annonce les deux rescapés, ceux qu’Oliver Stone définit lui-même que de vrais héros qui lui ont inspiré les deux rôles principaux (ceux de John et Jimeno, les deux policiers prisonniers des décombres, de l’enfer) tout juste le public esquisse-t-il quelques applaudissements et pas de standing ovation bien sûr, ces choses-là ne se font qu’en service commandé. La fiction a déjà pris le pas sur la réalité.
Pour témoigner était-ce nécessaire de fictionnaliser, de montrer que ces hommes sont de bons père de famille, aimant, aimés et donc survivants, surhumains, héros, bref du cinéma ? Le témoignage de Maria Bello en conférence de presse qui, dans le film, interprète l’épouse de John , sur la manière dont elle a vécu ce 11 septembre, ont plus de poids, de résonance, que ce film d’une heure trente. Etait-ce vraiment une manière de témoigner ou de justifier ce que Oliver Stone appelle une vengeance, à savoir la guerre en Irak ? Ainsi, dans le film, un ancien marine ( inspiré d'un personnage réel lui aussi) vient à New York pour aider à retrouver des survivants dans les décombres, puis une voix off nous explique que, par la suite, il est parti deux fois en Irak comme si c’était là la conséquence logique, normale. Pour se venger nous dit Oliver Stone. C’est pour se venger que les marines sont partis en Irak. Drôle de vision de la démocratie. Alors en conférence de presse Oliver Stone, clame haut et fort ne pas avoir voulu réaliser un film politique ou polémiste, que ceux qui n’ont pas aimé le film sont des idéologues. Est-ce être idéologue que d’avoir de simples idées, un simple avis ? S’il n’a pas voulu faire un film politique et, comme il le dit, si selon lui, c’est en Afghanistan et non en Irak que les Etats-Unis auraient dû intervenir, pourquoi n’a-t-il pas supprimé cette simple phrase, cette justification vengeresse ? Expliquer ne veut pas dire cautionner, certes. Mettons donc de côté cet aspect.
Pour le reste, eh bien en effet, les gros plans sur les larmes, la musique grandiloquente, et le reste. La bannière étoilée ne flotte pas mais c’est tout comme.
Est-ce vraiment un témoignage, un hommage ? Oliver Stone nous parle avec fierté des soixante millions de dollars engrangés par le film aux Etats-Unis, en trois semaines souligne-t-il, il nous parle de ses critiques, les meilleures depuis Platoon selon lui. Bref, il ne s’est pas trompé, le succès du film en est la preuve conclut-il. Des dollars, (tiens, pas des spectateurs), des critiques, bref du cinéma, un blockbuster. Mais, avant tout, un « message d’humanité » paraît-il… Alors, s’il le dit…
Lignes écrites à la va-vite, je reviendrai donc sur ce film dans mon compte-rendu final du festival mais pour l’heure le temps me manque (Ah! La rude existence du festivalier:-)) car :Aujourd’hui, à mon programme : Une vérité qui dérange (documentaire sur le réchauffement climatique, en présence d’Al Gore –projection unique-) de David Guggenheil ; Le dahlia noir de Brian de Palma, A crime de Manuel Pradal (projection unique, première mondiale) Conférence de presse du Dahlia noir. Récit à suivre très bientôt sur ces pages.
Les photographies ont été prises par votre festivalière assidue herself lors de la conférence de presse. (La première avec Oliver Stone et Maria Bello, et la seconde avec Maria Bello, Oliver Stone, et les deux policiers rescapés -parmi 20...- qui ont inspiré les deux personnages principaux du film). Pour toute utilisation, merci de me contacter au préalable.