Sonopluie solipsiste

Publié le 17 septembre 2011 par Lgdeluz

Nouveau billet invité de Jérôme Lurie :

Une initiative engagée dans le cadre du projet culturel de territoire du Pays de la Vallée des Gaves vient de se produire à Lourdes, Cauterets, ainsi qu'à Luz Saint Sauveur. La presse locale neutre et contemplative des soubresauts culturels dans notre départements s'est fait le relai de cet évènement commandé à la Compagnie Digital Samovar et intitulé SONOPLUIE. C'est ainsi qu'un beau jour, alors que je me promenais dans le centre de notre village, je suis tombé sur un groupe de personnes affublées de parapluies carrés joliment chamarrés de couleurs et motifs inédits divaguant de ci de là dans les rues du vieux Luz. Chacun de ces quidams portait également sur ses oreilles des écouteurs et baguenaudait dans un silence de cathédrale l'air absorbé par les sons et paroles déversés dans son casque.

« Avant de critiquer, tu ferais mieux de l'essayer », me diront certains. Je leur répondrai qu'après avoir lu le désopilant dossier de presse de l'appareil (voir sur gorbagreg.free.fr/SonoPluie_Parcours_des_Fees.pdf), je reconnus là un outil semblable à certains que j'ai déjà utilisés dans des musées et, à chaque fois que je les ai pratiqués, j'ai ressenti frustration et sensation de vide. Avez-vous essayé de poser une question à une machine, de partager une émotion ?

Il y a trois ans, j'accompagnais un groupe de personnes âgées à Millaris à Gèdre. Le même procédé y existe, hormis le parapluie inutile à l’intérieur du musée. Passons les problèmes d'écouteurs, mal réglés pour les appareils auditifs, les problèmes d'orientation dans l'espace pour savoir où l’œil doit se reporter en fonction des informations débitées dans l'appareil, et j'en passe... J'ai vécu cette visite comme le froid projet de déshumanisation d'une activité qui réclamerait pourtant échanges et contact humain. Mon ressenti fut partagé par tous. Cette expérience n'eut pas de lendemain et elle n'en aura pas.

Par contre, j'organise régulièrement des visites de ville avec une guide culturelle célèbre dans notre vallée. Ah oui ! Certes, elle n'est pas du sérail des arts du spectacle « où il faut avoir été vu à Avignon (au moins en off comme les concepteurs du SONOPLUIE) », mais son contact est chaleureux, son discours transpire de sa passion et de son expertise, chaque visite est inédite et s'adapte à chaque groupe que ce soient des enfants ou des anciens. Elle rebondit à partir des questions qui ne manquent pas d'être posées ou bien des anecdotes que chaque participant se fait un plaisir de partager. Cette expérience est réelle, cet échange nous grandit, c'est un tourisme à dimension humaine et non un produit artistique fantasmé qui cherche un prétexte culturel pour exister, cherchant auprès des collectivités locales des subsides pour vivre - Tiens, ça me rappelle les mises en scène photographiques de la balade Eugénie. A ce sujet, et en relisant le dossier de presse des SONOPLUIES, je trouve affligeant qu'il suffise simplement de caser les mots citoyen et écologie dans un argumentaire pour s'attirer les bonnes grâces de nos élus...

Un outil, aussi beau soit-il, ne remplacera jamais l'accueil humain. Je déplore qu'un artefact technologique prenne la place du vivant. Je ne peux concevoir le progrès technologique qu'à l'aune du soulagement de la pénibilité de certaines tâches. D'aucun ne réclamerait aujourd'hui de remplacer les camions par des brouettes, mais à moins de considérer le métier de guide comme à ce point pénible, remplacer quelqu'un qui vit ici, qui élève ses enfants ici, qui participe à la vie locale, c'est contribuer à enrichir un promoteur de pseudo-innovations, les usines qui les conçoivent et appauvrir ce qui nous lie...

A titre d'information, régulièrement, Cauterets organise des visites de ville avec la guide dont je parlais plus haut. J'entendais récemment des représentants de la gauche socialiste dire qu'il fallait replacer l'humain au centre de l'économie, et si on commençait d'abord par le niveau local ?

 

J. LURIE