Bien que leur mort, ainsi que celle des territoires, ait été annoncée au début des années 1990, les frontières constituent toujours une réalité prégnante. Elles sont marquées toutefois par les processus constants de déterritorialisation-reterritorialisation et d’ouverture / fermeture (« debordering-rebordering ») qui les sélectionnent, les re-hiérarchisent mais aussi qui les rendent plus diverses dans leurs formes et leurs matérialisations. Ainsi, l’inscription spatiale de la frontière est de plus en plus difficile à définir, ce qui constituera le cœur du questionnement de notre colloque. Différentes tendances sont en effet à l’œuvre, qui produisent des frontières plus mouvantes, plus ouvertes ou plus floues.
Tout d’abord la frontière fixe, dans sa forme la plus classique, s’avère toujours sujette à une certaine mobilité lorsqu’elle se cale sur des discontinuités naturelles dont la forme peut évoluer. Il en va ainsi des thalwegs qui fluctuent avec les évolutions des cours d’eau. Le changement climatique peut aussi être responsable de changement topographique avec la fonte de glaciers sur lesquels des frontières ont été établies, obligeant à revoir une frontière dépendant de la localisation d’un sommet, d’un col ou d’une ligne de partage des eaux.
Mais la notion de frontière mobile prend toute sa dimension si l'on considère que les fonctions frontalières tendent à dépasser la localisation sur les limites établies des aires de souveraineté nationale, pour être repoussées, projetées, multipliées ou diffusées dans l’espace. La fonction de contrôle peut notamment être disséminée à travers le territoire national, et non plus fixée à la seule entrée de celui-ci. Il en va ainsi des frontières biométriques, numériques ou « intelligentes ». Les frontières s’organisent conjointement de plus en plus en réseau, ce qui a fait émerger l’idée de frontières réticulaires, se situant aux nœuds de communication. Que ce soit dans les aéroports, les gares, ou suivant des équipes mobiles de douaniers, les migrations et les transactions sont contrôlées par des « frontières mobiles ».
Pour certains auteurs, ces dynamiques tendent à effacer la frontière, là où pour d’autres la logique réticulaire qui supplanterait celle du territoire créerait de nouvelles frontières, se trouvant loin du territoire national et ses limites administratives : elles sont projetées. On peut alors relier ce nouveau type de frontières au phénomène d’extraterritorialité.
Il semble essentiel de se demander ce qu’il advient des régions frontalières dans ce contexte : certaines peuvent se trouver soulagées des contraintes imposées anciennement par la frontière, mais d’autres peuvent perdre les avantages comparatifs induits par ces frontières. De nouvelles dynamiques voient le jour, où la frontière tend à être repoussée, où la ligne de frontière est transformée en zone d’échanges ou de projet. Les zones frontalières jouent donc sur la frontière, la repoussant au gré de leurs besoins.
Enfin, les nombreux espaces et territoires éphémères qui voient le jour dans un contexte postmoderne apportent une dimension supplémentaire à la notion de mobilité des frontières. Fronts agricoles, appropriations éphémères de l’espace public, autant de rapports de pouvoir au sein de la société tendant à créer des frontières toujours plus mobiles.
Le colloque sera donc d’abord consacré aux frontières embarquées et individualisées, aux frontières projetées, aux frontières fluctuantes et aux frontières éphémères, mais il pourrait apparaître assez cynique de s’interroger sur la seule dissolution de la frontière alors que notre époque atteste d’une multiplication des frontières physiques solides, telles que les murs. C’est pourquoi nous souhaitons également accueillir des participations qui analysent le lien entre la transformation des fonctions des frontières et l’émergence de nouveaux murs, ne se contentant pas de considérer ces formes comme des résurgences d’anciens réflexes militaires de fortification du territoire national : les murs eux-mêmes peuvent être mobiles, toute visée expansionniste servant à justifier leur déplacement.Extraits de l'argumentaire de l'appel à contribution, qui posait de nombreux éléments de réflexion sur ce que l'on peut entendre par "Frontières mobiles", et qui a servi de support de travail aux différents intervenants.
Des définitions de la frontière et des espaces frontaliers :
- Bernard Reitel, "Frontière", Hypergéo.
- Bernard Reitel et Patricia Zander, "Espace frontalier", Hypergéo.
- Bernard Reitel et Patricia Zander, "Ville frontalière", Hypergéo.
- Groupe Frontière, Chritiane Arbaret-Schulz, Antoine Beyer, Jean-Luc Piermay, Bernard Reitel, Catherine Selimanovski, Christophe Sohn et Patricia Zander, "La frontière, un objet spatial en mutation", EspacesTemps.net, rubrique Textuel, 29 octobre 2004.
- Jacques Lévy, "Frontière", EspacesTemps.net, rubrique Il paraît, 29 octobre 2004.
Sitographie sélective :
- Une sitographie sur la question des murs-frontières.
- Les podcasts du colloque Barrières, murs et frontières : état d'insécurité et insécurité de l'Etat ? (mai 2011 - Chaire Raoul-Dandurand et Association for Borderland Studies)
- Le blog Enigmur,un centre de ressources en ligne sur les murs.
- Le site du Ceriscope, une revue en ligne réunissant articles et cartes sur les frontières (CERI - Science Po).
- "La frontière, discontinuités et dynamiques", dossier de Géoconfluences.
- ABS, site de l'Association for Bordelands Studies.
- Les articles des Cafés géographiques sur les frontières.
- "Murs dans le Monde, les lignes de fractures", Le Magazine de la rédaction, France Culture, 31 octobre 2009.
- "Frontières", une exposition en ligne (voir une analyse de Laurent Grison pour la revue Mappemonde).
- Philippe Rekacewicz, "L'Europe et ses frontières paradoxales", Visions cartographiques, 27 novembre 2006, billet autour de l'exposition "Frontières", avec une bibliographie/sitographie très complète.
- Les billets du blog Géographie de la ville en guerre sur les frontières et sur les murs.
Bibliographie sélective :
Des revues en ligne :
- Karine Bennafla et Michel Peraldi (dir.), 2008, "Frontières et logiques de passage", Cultures & Conflits, n°72, hiver 2008.
- Didier Bigo, Riccardo Bocco et Jean-Luc Piermay (dir.), 2009, "Frontières, marquages et disputes", Cultures & Conflits, n°73, printemps 2009 (voir un compte-rendu de lecture).
- "Murs et frontières", Cités, n°31, n°2007/3, mars 2007.
- "Murs et clôtures", L'espace géographique, n°2009/3 (pour l'instant en accès restreint).
- "Les murs : séparations et traits d'union", Politique étrangère, n°2010/4 (pour l'instant en accès restreint).
- Michel Foucher, 2008, L'obsession des frontières, Perrin, Paris.
- Hélène Velasco-Graciet et Christian Bouquet (dir.), 2005, Tropisme des frontières. Approche pluridisciplinaire, L'Harmattan, collection Géographie et cultures, Paris, tome 1.
- Hélène Velasco-Graciet et Christian Bouquet (dir.), 2006, Regards géopolitiques sur les frontières, L'Harmattan, collection Géographie et cultures, Paris, tome 2.
- Patrick Picouet et Jean-Pierre Renard, 2007, Les frontières mondiales. origines et dynamiques, Editions du Temps, collection Une géographie, Paris.
- Alexandra Novosseloff et Franck Neisse, 2007, Des murs entre les hommes, La Documentation française, Paris (voir un compte-rendu de lecture).
- Georges Banu, 2010, Des murs... au Mur, Gründ, Paris (voir un compte-rendu de lecture).