Le meilleur film français de ce début d’année n’est probablement pas celui qui fut le plus attendu. L’intérêt ne réside pas tant dans le résultat de l’attente que dans les savoureuses palpitations de celle-ci. C’est le bonheur du possible plutôt que celui de la certitude. Le bonheur toujours possible. Comme le laissent entendre les plans de la fin. C’est ça : attendre quelque chose ou quelqu’un. La possibilité du bonheur. Même utopique.
Un patron de café, une institutrice, un jeune homme qui revient, et son secret avec lui…Louis (Jean-Pierre Daroussin), Agnès (Emmanuelle Devos), Stéphane et les autres. Les choses de la vie. La vie de tous les jours. Avec ses instants de grâce qui surgissent du quotidien comme ce film en compte tant. Avec ses moments de sursis dans la monotonie routinière de leurs existences, dans la douceur de vivre d’une ville de province comme il y en a tant, avec ces solitudes qui se frôlent et se croiseront...peut-être.
Dès le premier plan, nous les accompagnons dans leur attente et surtout pas dans l’ennui. Ils attendent. Nous attendons tous quelque chose. Un autre. Un ailleurs. Là où d’autres proclament, Jérôme Bonnell insinue. Là où d’autres démontrent ou montrent avec ostentation, il propose. Alors il nous propose la solitude au milieu des autres, flagrante et invisible. La solitude : leur force et leur fragilité. Une mélodie du silence. Eux, leur enfer c’est l’absence des autres. Ou leur présence absente. Ils sont enfermés, derrière les barreaux que les habitudes ont forgés.
Moments de grâce disais-je : la rencontre entre Agnès et Stéphane. Scène sublime. Tout est dit. En silence. Ou par des mots anodins pour dissimuler l’émotion loin de l’être. Les regards, les gestes, les frôlements qui trahissent. C’est ennuyeux diront certains. Le miroir captivant et frémissant de la réalité plutôt. Moment de grâce : des pas de danse sur du Stevie Wonder en présence des autres. Légèreté. Seul à nouveau, la musique continue, la danse s’arrête. Gravité.
La réussite de ce film qui mêle habilement gravité et légèreté résulte aussi de la mélancolie qui affleure constamment et nous emporte dans sa douce et envoûtante mélodie. Légèreté parce que le personnage hypocondriaque d’Eric Caravaca instille une dose mesurée de burlesque qui dédramatise. Tous ces personnages, avec leurs failles et leurs secrets, échappent à la caricature.
Bonnell a laissé la grandiloquence et l’emphase au placard, mais chaque instant est d’une véracité palpitante même dans l’ennui, l’ennui nécessaire, le temps de penser, celui de l’existence, le temps d’attendre. En quête des autres. D’eux-mêmes. Et forcément un écho à nos propres interrogations. De nous-mêmes, aussi, donc.
Bonnell fait preuve d’un talent scénaristique mais surtout de mise en scène, il nous laisse déambuler entre ses plans séquences, patienter pour en connaître le sens, savourer les silences, il responsabilise le spectateur. Ca change et ça fait du bien. Ce spectateur dont peut-être on serait surpris de savoir qu’il lit L’Education Sentimentale comme ses amis le sont de découvrir que Louis le lit. Lui aussi est spectateur. Sous-estimé. Mal estimé.
Exquises esquisses de la solitude. De leur éducation sentimentale. Bonell est un peintre des âmes. Vivement sa prochaine fresque.
Sandra.M