Celles et ceux qui sont passés du côté de la rue Sorbier (Paris XXème) hier soir auront pu constater que Le Lieu-Dit était bondé. Tellement bondé qu'il était à peu près impossible de prendre des photos ou des notes (en tout cas, je ne n'ai pas réussi). Du coup, vous avez droit à la photo d'une banderole accrochée par Caroline De Haas* herself, lors du rassemblement féministe du 22 mai dernier...
Je dois dire que j'attendais cette rencontre-débat autour du livre Un troussage de domestique (coordonné par Christine Delphy**, édité chez Syllepse et sorti en librairie il y a quinze jours) avec une certaine impatience (et pas uniquement parce que j'étais curieuse de voir enfin à quoi ressemble Mademoiselle S. !). Parce que ce bouquin m'a fait du bien, d'abord. Avant même de l'ouvrir et de commencer à le lire, je me suis réjouie de sa seule existence. La colère est communément vue comme un sentiment, un état négatif (dans le cas d'une féministe, une colère trop bruyante sera plus volontiers nommée hystérie). On fait semblant d'oublier qu'elle peut être aussi salvatrice, productive, motrice et rassembleuse. Un troussage de domestique en est une preuve.
L'objet de ce livre n'est pas l'agression de Nafissatou Diallo par DSK, mais son traitement médiatique et politique. Il est question de constater la permanence du sexisme en France, de dénoncer et d'analyser les propos sexistes, misogynes et parfois racistes tenus par nos politicien-nes, nos journaleux, nos soi-disant intellectuel-les. Il s'agit de dire haut et fort que le foutage de gueule ne fonctionne pas, que la novlangue et la com' (rappelez-vous, la Journée de la Jupe, ou encore la lutte contre les violences faites aux femmes déclarée Grande Cause Nationale de l'année 2010) ne nous empêchent ni de réfléchir, ni d'être en colère.
Et précisément, il me semblait qu'Un troussage de domestique pouvait servir de support à une prise de conscience, une réflexion et une mobilisation féministe. D'où ma hâte d'assister à la rencontre-débat d'hier soir...
Et là, blam ! Grosse déception. La colère est là, certes. Mais elle est plurielle, presque épidermique, impossible à canaliser. Personne dans la salle où l'on s'est entassé pour dire que putain, ce bouquin fait du bien. (Oui oui, je sais, j'avais qu'à prendre le micro... Mais petit-a, je suis limite mortifiée à l'idée de prendre la parole en public, et petit-b, j'étais bien trop occupée à me maintenir dans la position du dahu où la petite pente qui sépare le bar de la salle m'avait mise.) Les interventions se succèdent dans la salle, plus ou moins pertinentes, plus ou moins agressives. Chacune semble plus ou moins prêcher pour sa paroisse. On a même droit à celle qui critique le choix d'une rencontre-débat mixte... Mais il n'y a pas eu le début d'un débat, et la seule évocation des suites à donner à tout ça, c'est l'annonce de l'assemblée féministe qui se tiendra lundi 19 septembre, à 18h30, à la Bourse du Travail...
Ce serait pourtant pas mal (c'est un euphémisme) qu'on parvienne à s'emparer du sujet, qu'on le fasse nôtre et qu'on (re)commence à défendre réellement la cause des femmes. C'est trop rageant d'imaginer qu'on pourrait remettre (ou laisser remettre, ce qui revient au même) gentiment sous le tapis tout ce que cette "affaire DSK" a fait ressortir au grand jour. On n'a pas le droit de faire comme si l'on n'avait pas entendu Jean-François Kahn déclarer qu'il ne s'agissait après tout que d'un "troussage de domestique", tout simplement pas le droit de faire comme si rien ne s'était passé.
* Caroline De Haas, pour celles et ceux qui ne la connaîtraient pas encore, c'est cette gentille trentenaire bien propre sur elle qui nous invite poliment à oser (le féminisme, le clitoris, etc...). Elle ne fait pas peur, elle ne dérange pas grand monde, bref c'est une féministe très fréquentable.
** "Un troussage de domestique" est un ouvrage collectif. Ont collaboré à ce livre : Christine Delphy, Gisèle Halimi, Clémentine Autain, Sabine Lambert, Rokhaya Diallo, Sylvie Tissot, Sophie Courval, Joan W. Scott, Claire Levenson, Les TumulTueuses, Najate Zouggari, Christelle Hamel, Michelle Guerci, Mademoiselle, Natacha Henry, Titiou Lecoq, Mona Chollet, Béatrice Gamba, Emmanuelle Piet, Jenny Brown, Marie Papin, et Audrey Pulvar.
NB : une autre rencontre-débat autour du livre Un troussage de domestique aura lieu vendredi 23 septembre, à 19 heures, à la librairie Violette & Co (Paris XIème).