Quant au lyrisme
Quant au lyrisme, c’est aux non-praticiens qu’il faut demander sa quiddité, sinon à des poètes qui parleront à cette occasion d’eux-mêmes, mais mieux à un poète-critique (Ponge), seul à en écrire en connaissance de cause. Car les poètes ne savent pas ce qu’ils font ou l’ignorent.
On en dirait ce qu’on voudrait : accompagnement syllabique de musique, pouvoir d’expression personnel distinguable de la plainte – mais la strophe lyrique lamartinienne-et-après est aussi bien élégiaque, chant du corps… Or il n’y a pas de quoi chanter ! Il n’y a plus à remercier, à s’émerveiller – comme d’obus dans la tranchée. Sauf naïveté ou ignorance des nouvelles le poète a raccroché sa lyre, il écrit sans instrument que ses propres organes, n’exalte que son langage au risque d’emphase ou d’autolalie. Le désastre ou la modestie impliquent de ne plus hausser le ton. Il y a longtemps, Claudel a chanté dieu, Perse le néant du monde. Mieux vaut expectorer un cri qu’imiter en mètres un chant et plus valent les Illuminations que le nouveau recueil répétitif de X.
Il faut donc attendre que l’homme ait fini de chanter en période de vacances – pour en avoir fini avec le lyrisme qui est sa visée sournoise et secrète : faire beau.
Jude Stéfan, cahier Le Temps qu’il fait / Cahier huit, sous la direction de Tristan Hordé, 1993, p. 151