Le dernier combat de Louis Barthou
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Le complot de l'ordre noir
Le complot de l’ordre noir reprend en partie les thèmes déjà abordés par Philippe Pivion dans La mort est sans scrupule, qui s’attachait à l’extrême droite française. Plus resserré dans la période choisie (l’année 1934, en France), ce nouveau roman associe de façon fort réussie les matériaux historiques à la texture romanesque. Il remet en question, courageusement, la thèse de la cécité des milieux politiques français face au danger nazi, montrant qu’il s’agit d’une politique délibérée. C’est un des mérites de ce roman que de présenter la lutte solitaire et héroïque de Louis Barthou, académicien et ministre des Affaires étrangères, dont la dernière ambition est de mettre hors d’état de nuire ce qui lui apparaît comme la menace majeure pour la civilisation. Il y a de la grandeur dans ces combats disproportionnés, menés grâce à l’intelligence, au talent, à l’acharnement. Philippe Pivion donne le portrait fin et contrasté d’un homme aimant la vie et ses plaisirs, que ses convictions font passer en quelques mois du statut d’homme politique à celui d’homme d’État. Le point de départ est la tentative de Barthou de changer la politique française à l’endroit de l’Allemagne. Ce qui va lui coûter la vie. Se rendant compte de l’extrême brutalité du régime nazi et du danger militaire qu’il représente, il veut contrer sa montée en puissance.
Barthou est donc conduit à procéder à des réajustements, vis-à-vis notamment de l’URSS et de l’Angleterre. Homme de droite, il n’a guère de sympathie pour les communistes qu’il a, sans états d’âme, envoyés en prison quand il était ministre de la Justice, mais il juge que l’alliance soviétique est désormais indispensable. Par ailleurs, connaissant le poids déterminant de l’Angleterre, il veut lui faire abandonner sa politique d’apaisement à l’égard de l’Allemagne, qui vise à pousser Hitler contre l’URSS tout en espérant rester hégémonique. C’est donc en montrant que c’est un leurre que Barthou espère infléchir la politique britannique. Finalement, le vrai problème, le seul qu’il ne mesurera pas correctement, réside dans la puissance de certains milieux français liés à l’extrême droite, elle même connectée aux nazis. Quelques noms en sont le symbole : Pétain et Weygand, Laval qui attend son heure, avec en arrière- fond Deloncle et sa Cagoule, Chiappe, préfet de police jusqu’en février 1934, et la pègre qui fournit les hommes de main.
Le lecteur sait que Hitler a gagné contre Barthou, mais il est pris par les rebondissements d’une intrigue qui se déroule dans l’enchevêtrement de divers milieux : le Quai d’Orsay en partie gangrené par les factieux, la pègre corse et marseillaise et ses trafics, les activistes nazis qui ont fait leur nid en France, la police plus ou moins habile à démêler toutes ces affaires. Le secrétaire de Barthou constitue un élément essentiel du roman : par sa liaison avec une belle de nuit protégée par le truand Carbone, il se trouve au centre de ces sombres intrigues, sans pour autant bien les mesurer. Mais, ayant été à Berlin en relations amicales avec des membres du KPD, il a une fine connaissance du régime nazi dans ses débuts sanglants et sa dévotion à Barthou est à la mesure de ce qu’il a vu. On retrouve aussi Charles Lesquineur, personnage principal de La mort est sans scrupule, cette fois impliqué dans l’assassinat de Barthou. Contrairement à certains romans noirs qui croient avoir besoin d’éléments sensationnels, Le Complot de l’ordre noir n’utilise que des matériaux vérifiés. Sa réussite tient à la qualité de leur assemblage. En même temps, et c’est un aspect important du roman, il montre que « le choix de la défaite » de 1940 était considéré par la droite française, extrême ou pas, comme nécessaire à une remise en ordre de la société française menacée par le communisme. La mort d’un des siens, en l’occurrence Barthou, ne pesant rien ou presque dans cette affaire.
François Eychart