Je lisais il y a quelques jours, un texte sur le site de Rue 88 qui rapproche le film « Melancholia » de Lars von Trier de celui d’Almodovar « La piel que habito ». Le rapport le plus évident est que ce sont de très grands films. Je veux dire par là qu’il s’agit du très grand cinéma qui suit à la trace des fantasmes et des obsessions intimes qui sont avoués lors de rendez-vous réguliers entre ces deux auteurs tourmentés et des spectateurs avides.
Je crois que ce sont également des symptômes d’une grave maladie.
Je retrouve, en ce moment où je retourne enfin au cinéma, en salle, comme un faisceau de preuves qui semblent aller toutes dans le même sens. Un faisceau aussi fort et convergent en 2011 que cet autre faisceau que j’ai eu la chance de vivre entre 1964 et 1965 dans une cohabitation de films qui nous frappent encore aujourd’hui par leur manière commune de dire : nous voici dans un autre monde. Le Mépris, Alphaville, Pierrot le Fou, le Bonheur, les Amours d’une blonde, Juliette des esprits, Paris vu par, le Désert Rouge, l’évangile selon Saint Matthieu, le Journal d’une femme de chambre, la peau douce, le docteur Folamour…Ouf !
Et cet autre monde, c’était d’abord celui d’un cinéma qui se découvrait sans contraintes et sans doute sans tabous. A Prague, comme à Paris, à Londres comme à Rome, dans la tradition du Surréalisme ou dans celle du Réalisme, dans les chambres des adolescents qui font l’amour pour la première fois ou dans celles où les amants se séparent.
En ce sens la blonde qui cache son sexe en y remettant en place violemment la tête du jeune garçon qui l’a séduite, rejoint le corps de Brigitte Bardot qui interroge son homme sur les canons de sa beauté. Tout éclate, dans toutes les directions, mais dans beaucoup de ces films le couple vit ses plus beaux et ses derniers moments. Le bonheur existe parfois avec une autre femme, sans remords et sans morale puisque la première meurt. Le mot amour peut de nouveau se prononcer même dans les lieux futuristes où les cerveaux ont été lavés de toute émotion et dans les lieux mornes des immeubles collectifs du monde communiste où les idées ont été normées.
Des cinéastes qui affirment : que le monde éclate enfin et que les rapports entre les hommes et les femmes soient racontés tels qu’ils ont vraiment. Et le bandit allume la mèche de la dynamite qui le fait exploser et la belle prend la voiture qui ira s’écraser. Le meurtre symbolique de Belmondo et celui non moins symbolique de Brigitte Bardot rejoignent le Christ sur la croix. Même combat pour sortir des normes, même attitude scandaleuse, même peine. Il n’y a que des humains, pas de surhumains et le fils de Dieu lui-même s’est fait homme. Le cinéma est ainsi entré au milieu des années soixante dans nos passions quotidiennes, nos passions ordinaires, mais il a conquis en même une dimension supplémentaire : le droit de courir les rues, comme le feront les plus jeunes, quelques années plus tard. Tout bascule ; la morale traditionnelle la première !
Presque cinquante années plus tard…et un sacré nombre de films, et un certain nombre d’inventions techniques en plus, le symptôme social du cinéma revient de plein fouet. Ce symptôme nous dit : nous continuons à nous mentir sur l’avenir, nous continuons à faire semblant de faire la fête, mais nous sommes pourtant désespérés et rongés de l’intérieur. Nous sommes désespérés de comprendre que cette destruction intime, au plus profond, reflète un éclatement social épouvantable et planétaire. Nous ne voulons pas croire ou dire que la fin est proche.
Il faut donc bien que des cinéastes nous soulagent du désespoir et qu’ils le mettent en scène. Par le cérémonial grotesque d’un mariage qui se déstructure, comme par la reconstitution d’un(e) être humain d’une inhumaine beauté. Autrement dit : nous pouvons tout ; dépenser beaucoup d’argent pour sauver les apparences, transgresser le rituel bourgeois, changer le sexe et l’apparence. Nous sommes libres pour peu que nous dominions l’argent ou la technique. Et en même temps, nous sommes en permanence habités par la mélancolie, la langueur, le doute et nous sommes obligés de cacher la vision de l’horreur et de nous rassurer. La planète menaçante n’a pas encore atteint la taille critique. Elle peut encore s’éloigner. D’ailleurs elle s’éloigne ! Faisons la fête. L’amour va naître de celui / celle dont est venu le mal. Tout peut changer. Encore un carré de peau !
Trop tard nous disent les deux cinéastes. La destruction est en route car nous avons abusé de la liberté trop offerte ! Notre espèce est passée de la fin des tabous, à la fin des limites et à acquis le sentiment de tout dominer, y compris la transformation des autres espèces, y compris la création d’une nouvelle génération trop humaine et donc inhumaine.
Et pendant ce temps-là, la probabilité que la terre soit frappée par un astre en mouvement s’accroît, par un simple jeu mathématique.
Le chemin de la mélancolie à la résignation calme est constitué d’étapes de révoltes. Nos voisins méditerranéens en ont connu. Nos amis du nord de l’Europe ont été pris de court. Nous vivrons les nôtres, dans cette Europe moyenne et tempérée.
Alors écoutons les images !