Il y a deux ans, presque jour pour jour, sortait dans les salles françaises A propos d’Elly. Il y a deux ans presque jour pour jour, je découvrais le cinéma d’Asghar Farhadi. Un cinéma qui me faisait redécouvrir un cinéma iranien que j’avais quelque peu délaissé depuis un certain nombre d’année. La vérité serait plutôt que jusqu’ici le cinéma iranien avait peiné à me passionner, malgré quelques belles découvertes très ponctuelles. Mais depuis A propos d’Elly, je ne tombe plus par hasard sur le cinéma iranien, je le guette.
A l’aune de l’été, alors que le film déchaînait les passions cinéphiles et se transformait non plus en succès parisien mais en succès populaire, je n’ai pas parlé dans ces pages d’Une Séparation. Ce silence ne signifiait pas un désintérêt pour le nouveau film d’Asghar Farhadi, Ours d’Or à Berlin en début d’année. Moi aussi j’ai été emporté et soufflé par ce récit fort, passionnant et implacable d’un couple en perdition dans le Téhéran de 2010. Moi aussi je me suis trouvé tendu comme devant un thriller à suspense devant cette chronique urbaine et humaine. Disons que le temps m’a manqué au moment où je l’ai vu. Mais personne ne m’a pas attendu pour les recommandations, et le film file doucement mais sûrement vers le million d’entrées en France. Un million de spectateurs pour un film d’auteur iranien, un succès aussi inattendu que mérité pour un film repoussant la barrière des genres.
Car si Une séparation est en passe de devenir un des plus grands succès du cinéma asiatique en France, et y est déjà le plus grand succès du cinéma iranien, c’est que le style de Farhadi, déjà présent dans ses précédentes œuvres, trouve ici son apogée. Soutenu par un Ours d’Or à Berlin, une critique unanime et un bouche-à-oreille élogieux, le phénomène était lancé. Et incitait les distributeurs à ressortir en salles les deux précédents films du cinéaste iranien, alors que lors de leur première exploitation ils étaient passés plus discrètement. Si je connaissais déjà les qualités d’A propos d’Elly, récit d’une journée entre amis tournant mal lorsqu’une des femmes de la bande disparaît, il me restait à découvrir La Fête du Feu, datant de 2006.
Il m’aura fallu plus d’un mois avant de pouvoir enfin poser mes yeux sur ce qui est le troisième long-métrage de Farhadi (ses deux premiers sont inédits), dans la seule salle de l’Arlequin où je n’étais étrangement jamais allé. Le film rappelle, ou plutôt annonce fortement Une séparation. Une jeune femme qui s’apprête à se marier est engagée pour une journée chez un couple pour faire la femme de ménage. Le film s’étale sur cette seule journée, au cours de laquelle la jeune protagoniste découvre un couple déchiré, une femme ne faisant plus confiance en son époux, un époux agacé du comportement de sa conjointe. Ce sont bien les prémices de ce qui sera Une séparation, cet examen de la vie ordinaire à Téhéran, une observation des rapports humains dans la société iranienne. Ces relations difficiles entre hommes et femmes, au sein du couple comme en dehors, ces traditions enracinées et bataillant avec la société contemporaine.
Farhadi aime à concentrer son attention sur une unité de temps et de lieu, limitant son action au cadre d’une seule journée et tournant autour de deux ou trois décors principaux, pas plus. Il avait déjà dans La Fête du Feu cette capacité virtuose à rendre haletant le quotidien, à peser ses dialogues afin qu’ils servent à la fois à enrichir les personnages et à nourrir l’action. Son choix de limiter son film à une journée et ses personnages à une poignée lui permet d’approfondir en permanence ses héros et les situations dans lesquelles ils s’empêtrent. A travers un petit groupe de personnages, c’est toute la société iranienne qui passe sous son objectif, symbolisée par cette méfiance, ces doutes, ces craintes, et en même temps cette énergie incroyable, cet espoir qui parvient à poindre dans la nuit et le trouble.
Le cinéma d’Asghar Farhadi est un cinéma fiévreux, plaçant en son cœur l’humain, avec ses défauts et ses qualités. L’Iran qu’il nous montre déroute et passionne. C’est un cinéma haletant, un cinéma vivant. J’ai découvert Asghar Farhadi un peu par hasard, un peu par curiosité, un jour d’automne 2009. Deux ans plus tard, je sais que le hasard n’entrera plus jamais en compte lorsque je me trouverai dans une salle programmant un de ses films.