Il est assez désagréable de ne pas savoir à quelle sauce nous serons mangés si jamais l'euro doit être sauvé. Comme l'écrit élégamment The economist, pour faire respecter les disciplines infligées aux pays que l'on "sauvera", pas besoin d'un super-état fédéral, un simple commissaire préposé à cette tâche suffira. On pourra même l'appeler dictateur.
Il faudra d'ailleurs un jour que l'on ajoute à la liste des torts de l'Union euroépenne celui d'imposer une novlangue croissante : la "solidarité" avec les grecs, qui vise à les "sauver", revient à les saigner.
Je lis à droite à gauche pas mal d'analyses intéressantes et détaillées sur ce qui se passe.
Elles se succèdent toutes sans qu'aucune ne fasse finalement mieux que de décrire ce qui ressemble fort à une impasse.
Certains prennent cependant des décisions pendant que l'opinion cogite.
Par exemple le Parlement européen et la Commission se sont entendus aujourd'hui (cf. aussi le résumé de TF1, plus clair que le communiqué du Parlement). Sur notre dos.
Les sanctions en cas de dérapage des comptes seront automatiques, les pouvoirs de la Commission sont renforcés etc.
Aucune de ces mesures n'a aucun sens car elles oublient ce qui fonde la crise actuelle : la mauvaise gestion de l'euro, pire le côté inadapté d'une monnaie unique pour 17 économies développées.
Les états du sud de l'Europe sont endettés parce qu'ils doivent financer le déficit de leur balance commerciale. Pour la Grèce, l'Italie, l'Espagne et le Portugal, leur balance commerciale a plongé avec l'adoption de l'euro. Tous les graphiques suivants retracent l'évolution de la balance commerciale des pays concernés, en mlliards de dollars, selon les données du FMI 2011, consultables sur le très bon site Index Mundi : (de 1980 à 2010)
Grèce
Espagne
Italie
Portugal
Tous ces pays ont en commun d'avoir vu leur balance commerciale s'effriter lentement après l'adoption de l'euro. Ayant une inflation structurellement plus forte que celle de pays plus "avancés" et/ou à la démographie moins dynamique, ils perdent chaque année un peu de compétitivité.
A terme, s'ils sont "sauvés", ils se transformeront en parcs d'attractions financés par le FESF.
Notez qu'on est loin des clichés à la Quatremer, qui déplore à longueur de billet la corruption endémique en Grèce, ou la fraude fiscale, qui ne sont pour rien dans la dégradation de la balance commerciale.
Simple avers de la médaille, l'Allemagne voit sa compétitivité relative à celle de ses partenaires européens s'améliorer chaque année, puisqu'elle a la plus faible inflation.
Mécaniquement ses excédents s'envolent.
Allemagne
Pas question de vertu là dedans, tout est mécanique.
Les mesures punitives que l'on s'apprête à prendre à l'encontre de ceux que l'on va "sauver" n'ont aucun sens économique. Je gage qu'aucun des candidats à la primaire "de gauche" n'aura le courage d'essayer d'expliquer le dixième de cela.
C'est pourtant tellement simple qu'un économiste avait souligné les risques de l'union monétaire en ces termes :
"Après l'unité italienne, l'Italie du Sud a souffert beaucoup du contact et de la concurrence de la région du Centre et du Nord. Contrairement à ce que nous croyons trop souvent, l'Italie du Sud avait atteint, avant l'unité italienne, un degré d'industrialisation et de développement comparable et probablement même supérieur à celui du reste du pays. L'unité lui a porté un coup qui s'est traduit par une large émigration à l'intérieur de l'Italie unifiée et aussi vers l'extérieur, un coup que même les gens du Nord reconnaissent et auquel ils essayent maintenant de remédier. Pour obtenir le développement de la Sicile et de l'Italie du Sud, le gouvernement de Rome recrée précisément, depuis quelques années, un régime distinct qui supprime ou qui atténue le caractère absolu de l'intégration réalisée voici un siècle."
Plus loin : "En Allemagne même, qui a fait l'expérience d'un Zollverein, véritable précédent du Marché commun, bien que la Prusse, initiatrice et agent moteur de l'intégration, ait consenti
de larges investissements en faveur des régions allemandes moins favorisées, les Wurtembergeois, les Bavarois ont dû émigrer en grand nombre vers les Amériques.
Au surplus, si, à l'échelle d'un siècle et en ne considérant que l'ensemble de l'économie allemande, le Sud et le Nord confondus, si le Zollverein a été un élément d'expansion,
n'oublions pas qu'il a pu porter ses fruits parce qu'un État dominateur, principal bénéficiaire de la réforme, a fait la loi aux autres États dominés. En ce sens, c'est un précédent qui ne
comporte pas que des aspects plaisants."
En effet. L'auteur de ces lignes était Pierre Mendès-France, expliquant son rejet du marché commun, le 18 janvier 1957 devant l'Assemblée nationale.