Canet, le 17 01 2011
M. B. : Nous sommes le lundi 17 janvier 2011. La dernière fois je vous avais parlé du tonal et du tonique, et j'avais insisté sur le fait que les phénomènes étaient décrits sous l'angle de la tonicité. Ce qui m'intéressait, c'était de voir comment le système de la bouche chez le nourrisson organisait les répartitions de tonicité ; et je disais qu'on pouvait postuler des accidents tonals dont témoigne une disharmonie, voire une dystonie archaïque, et que le packing pouvait rétablir une certaine harmonie tonale, une certaine musique tonique chez certains enfants autistes chez qui l'on pouvait observer cette dystonie. L'idée suivante consisterait à examiner ce qui se pose d'emblée pour le petit d'homme, à savoir la question de la parole. Parce que le discours a sa propre tonalité, et que de ce point de vue, il peut être rattaché au tonal et au tonique. Je vous avais parlé du travail qui était fait avec les traumatisés crâniens, mais l'on peut aussi évoquer le travail psychothérapique. Il existe un concept intermédiaire qui est indispensable, et dont je vais vous reparler. Pierre Delion dans son dernier ouvrage Le corps retrouvé indique que le corps n'est pas considéré comme fondamental dans toutes les dimensions. Mais comment peut-on penser la dimension psychique si on omet la dimension corporelle ?… « Oui, dans la psychanalyse le corps n'est pas pris en compte », on connaît l'antienne, on nous la répète assez souvent. Mais le corps est là tout le temps. Le fait que la personne soit allongée sur le divan et qu'elle ait l'air de se reposer ne signifie pas que le corps est absent pour autant : le corps tout entier participe au travail du discours. Et l'on peut penser que l'intervention sur le discours a ses incidences sur le corps. Quand quelqu'un vous dit un mot gentil, vous êtes apaisé. On peut observer que les paroles soignent, c'est l'effet placebo du médecin ; et l'on peut même se dispenser des circuits chimiques parce que la chimie du discours suffit souvent à soigner. De façon générale, on voit cela comme complément, mais la psychiatrie médicamenteuse, dans laquelle l'art du psychiatre est réduit à la prescription, oublie que le psychiatre se prescrit lui-même, ce que Balint avait déjà fait remarquer, et il est incroyable que cela ait été oublié en psychiatrie. La plupart des psychiatres ne veulent pas être psychothérapeutes, mais ils le sont sans le savoir d'une certaine façon, parce qu'ils sont investis, parce qu'il y a du transfert. Ne pas reconnaître l'existence du transfert ne l'empêche pas d'exister, cela introduit simplement des distorsions pénibles parfois, quand on prend pour argent comptant quelque chose qui n'est autre qu'un effet du transfert. C'est par exemple le cas d'un type qui se met à faire des choses bizarres dans une équipe. Aussitôt l'équipe crie haro sur le baudet, il s'agit de le punir, de l'éjecter. Maintenant, si l'on prenait le temps d'observer la dimension transférentielle, ce qui se passe, les conditions concrètes, si l'on faisait ce que Oury appelle une analyse institutionnelle suffisamment approfondie, on s'apercevrait que ce que fait ce type n'est rien d'autre qu'un symptôme qui lie à la fois le destin des soignants et le destin des soignés ; et ce sont ces symptômes erratiques qui permettent de dire qu'on n'a pas fait suffisamment d'analyse institutionnelle.
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