Parmi les documents que contient le dossier de L’Origine du monde conservé aux archives du musée d’Orsay, on trouve quelques courriers de chercheurs et de visiteurs ; le plus singulier étant probablement celui d’un père de famille américain qui se plaint fort sérieusement de n’avoir pu offrir à sa fille de 16 ans l’innocent album Votre visite à Orsay au prétexte que la toile de Courbet s’y trouve reproduite… Mais on ne relève aucune lettre directement adressée au tableau. On n’ose pas écrire au sexe d’une femme, fut-il le plus célèbre du monde, pas même une carte postale ou un courriel. En revanche, au musée du Louvre, le dossier de La Joconde s'enrichit régulièrement de lettres directement adressées à Mona Lisa en provenance du monde entier ! L’enveloppe est le plus souvent ainsi rédigée : « Mona Lisa / Musée du Louvre / France ».
C’est en compulsant ces papiers qu’est venu à l’esprit d’Isabelle Cousteil un étonnant projet : demander à des personnalités d’écrire un message à l’énigmatique modèle, ou à sa représentation peinte. Ces textes sont regroupés dans un ouvrage intitulé A Mona Lisa, Le Louvre, Paris (Triartis, 127 pages, 20 €). Quarante-cinq épistoliers se sont livrés à cet exercice insolite et le résultat ne manque ni d’intérêt ni d’humour, ni, naturellement, de références à Marcel Duchamp.
Certains se lancent dans l'aventure en leur nom propre, comme Agnès Akérib (complice d’Isabelle Cousteil pour un savoureux dialogue d’Alexandre Dumas et de Théophile Gautier dont il a été question dans ces colonnes), Jean-Claude Dreyfus, Didier Barbelivien (sans Félix Gray…) ou Francis Perrin.

Au milieu de ces missives diverses, l’auteure a inséré de vraies lettres issues du dossier du Louvre ; elles ne sont pas les moins curieuses. Et, comme il faut bien, de temps à autres, que la destinataire s’exprime autrement que par un sourire, Isabelle Cousteil s’est glissée sous son voile à quelques reprises.
Il serait intéressant d’analyser les motivations de ceux qui jettent ainsi une bouteille à la mer (ou à la Poste) à Mona Lisa. Cela ferait sans doute un beau sujet de thèse en psychologie ou en histoire de l’art. Et le lecteur, curieux, s’interroge : La Joconde serait-elle la seule œuvre à recevoir ainsi une foule de messages ? Qu’en est-il d’Olympia, de la Vénus de Milo ou de la Victoire de Samothrace ? Il faudrait bien aller y voir…
Illustrations : Couverture du livre - Marcel Duchamp, L.H.H.O.O.Q.