Jean-Luc Perron, délégué général de la Fondation Grameen Crédit agricole, a accordé au Monde un entretien dans lequel il s'explique sur cette fondation, liée au Prix Nobel de la Paix Muhammad Yunus, et sur le fonds spécialisé "social business" dont le but est de financer des entreprises dans les pays en voie de développement. Le slogan de la fondation est d'ailleurs : "Au service des prêteurs d'espoir". Pour d'autres articles sur le social business, lire le cas de Grameen Veolia Water et l'avis de Yunus sur ce sujet.
Muhammad Yunus et René Casson, Président de Grameen Crédit Agricole.
Comment est née l'idée de cette fondation ?
La Fondation Grameen Crédit agricole a été créée en 2008 à l'initiative des dirigeants du groupe Crédit agricole et du Prix Nobel de la paix 2006, fondateur de la Grameen Bank, Muhammad Yunus. Elle a été dotée à sa création de 50 millions d'euros par le Crédit agricole, qui n'oublie pas qu'il a la microfinance dans ses gènes.
En effet, la première caisse locale créée dans le Jura en 1885, et qui a donné naissance à ce qu'est aujourd'hui le Crédit agricole, était, à petite échelle, basée sur une relation de confiance envers des gens qui n'avaient aucun accès au système bancaire. Aujourd'hui, on qualifierait certainement cette caisse d'initiative de microcrédit.
Nous sommes donc naturellement proches du professeur Yunus, qui affirme que les pauvres sont dignes de confiance et peuvent, si on leur en donne les moyens financiers, créer des micro-activités génératrices de revenus et ainsi contribuer à la solution du problème dont ils ont hérité : la pauvreté.
Logo de Grameen Crédit Agricole.
Quelles missions le Crédit agricole et Grameen vous ont-il confiées ?
A but non lucratif, la Fondation est chargée de recycler sa dotation initiale en finançant des IMF et en promouvant ce que Muhammad Yunus a nommé le "social business", c'est-à-dire un modèle d'entreprise durable, dont la vocation n'est pas d'enrichir ses investisseurs ou ses initiateurs, mais de s'attaquer aux problèmes sociaux, et en particulier la pauvreté. En ce sens, d'ailleurs, notre fondation est elle-même un "social business".
Nous souhaitons démontrer que l'on peut combiner un professionnalisme bancaire, une approche rigoureuse de gestion et un volontarisme à l'encontre de la plus grande pauvreté. Nous finançons en priorité des IMF qui soutiennent des projets portés par des femmes, en Afrique subsaharienne, et qui accordent des prêts en moyenne plus petits que ceux accordés par les IMF financés par les fonds d'investissement spécialisés en microfinance. Aujourd'hui, nous comptons, via ces IMF, 1,4 million d'emprunteurs actifs dont 92 % de femmes, 38 % en Afrique subsaharienne, devant l'Asie du Sud et du Sud-Est (29 %), et 76 % en zone rurale.
Contrairement à la plupart des organismes de financement des IMF, nous veillons à ne pas faire peser le risque de change sur les IMF partenaires. 93 % de nos opérations ne font porter aucun risque de change, nous avons par exemple été les premiers à faire des prêts en riels khmers au Cambodge ou en manats azerbaïdjanais.
Quelle sera la vocation du fonds "social business" que vous vous apprêtez à créer ?
Ce fonds répond à une mission inscrite dans le mandat de la fondation : celle de développer les entreprises de "social business". Plus récent et beaucoup moins développé que la microfinance, le « social business » n'obéit pas à un modèle reproductible de façon évidente. Chaque projet est un cas particulier qui demande un savoir-faire particulier (comme Danone avec la production de yaourts enrichis et aux prix très bas au Bangladesh) que nous ne possédons pas. Nous sommes donc dans une posture qui nous conduit à être des facilitateurs de projets.
Dans cette perspective, nous souhaitons rallier à cette cause des investisseurs socialement motivés dans le cadre d'un fonds innovant et attirer l'attention d'entreprises porteuses de projets dans lesquels nous pourrons investir en tant qu'actionnaire minoritaire.
Nous ferons appel à des investisseurs institutionnels ou privés, de la catégorie des high net worth individuals (individus à fort potentiel économique), qui aimeraient combiner esprit de solidarité et esprit d'entreprise, en développant des entreprises efficaces et rentables, mais dont la mesure du succès sera la création de valeur sociale pour les plus pauvres et non pas la création de valeur pour les actionnaires.
Jean-Luc Perron, délégué général de la Fondation Grameen Crédit Agricole depuis 2008.
La réputation du microcrédit a pâti des suicides, survenus en Inde entre 1998 et 2010, de personnes pauvres surendettées car harcelées par les organismes de microcrédit. Comment se protéger contre ces dérives ?
Nous effectuons systématiquement une double analyse sur les IMF que nous finançons : une analyse financière d'une part et une analyse de la performance sociale d'autre part.
Pour ce deuxième volet, nous collaborons avec le bureau d'étude spécialisée français Cerise, qui a mis au point un outil de mesure de la performance sociale nommé SPI (social performance indicator). Nous faisons nous-mêmes, sur place, ce contrôle qui consiste à répondre à des questions telles que : cette IMF agit-elle conformément à sa mission sociale ? Quel est le montant moyen de ses crédits ? Quelles sont ses méthodes de recouvrement ?, etc.
Sur un plan plus général, nous luttons contre ces dérives en participant au forum de réflexion Convergences 2015, qui rassemble les principaux acteurs de la microfinance. Il a lancé, en mai, l'« Appel de Paris pour une microfinance responsable ». Cet appel les convie à s'accorder sur un corps de règles et de principes qui définiraient ce qu'est une microfinance responsable au service des plus pauvres.