Dans le métier de traducteur, il arrive parfois qu'on se fasse proposer des textes qui semblent à prime abord bien inoffensifs ; on accepte d'emblée, on manifeste même son enthousiasme, on signe le contrat, s'il y a lieu ; mais après trois ou quatre pages, on se rend compte qu'on s'est engagé à boire cent litres de moisissures putrides concoctées directement dans les sous-terrains de Saroumane par ses orques génétiquement modifiés. C'est un cauchemar qui, heureusement, ne se concrétise pas très souvent. En 2008, j'ai eu entre les mains un document confidentiel de l'armée canadienne qui détaillait (sans en préciser les motifs) une augmentation prévisionnelle de 300% des amputations traumatiques (ça c'est quand tu perds un bout ailleurs qu'à l'hôpital, mettons dans un champ ou au coin d'une rue) que subiraient ses employés au cours des cinq années suivantes. C'était une centaine de pages de prothèses, de scalpels, d'anti-douleurs et de consultations chez le psy. Ça m'avait déprimé sans bon sens. D'ailleurs, ma cliente avait exécré mon travail, m'avait engueulé vertement, ne m'a plus jamais rappelé. Le lendemain, on me piquait mon vélo. Biorythme. Stie.
Cette semaine, sur fond de catastrophe nucléaire dans le monde réel, je fais profil bas parce que je suis en train de nager (dans le texte) au septième sous-sol inondé de pisse et de vomi du QG des vampires, du château de Frankenstein, de Mordor… Oui, mein wolk, je traduis un morceau d'étron sorti tout droit du rectum du dragon et destiné à désinformer, confondre et déboussoler le lecteur cible, de manière à lui faire avaler les couleuvres officielles bien profond. Si, si, je m'affaire contre rétribution à polir un des cent millions de microscopiques anneaux de la chaîne qu'on passe aux chevilles du public de la Terre. Ah, yayayayaïe. Ce qu'y faut pas faire pour rembourser ses dettes.
J'ai chanté ? À moi de danser, maintenant. Ouvre grand… Allez, ouvre !Pouah. Un poil. © Éric McComber