Et peut-être d’abord, dit-elle l’identité, non pas du point-de-vue d’un ethnologue, mais de l’homme, un homme des mots, un poète. Soleil cou coupé, titre du premier recueil, fait penser à Apollinaire, mais évoque un rapport au corps, au visage. Corps à nouveau dans le titre du deuxième recueil, Corps perdu, comme se lancer à corps perdu dans un projet, ici dans un mot, « le mot nègre ». Enfin, comme pour se reprendre, pour être entier, Moi, laminaire, image d’algue dans la mangrove.
Trois recueils que réunit un autre art : la peinture. Et la peinture dans l’amitié : Wifredo Lam et Pablo Picasso. Mais aussi le « serpent lombaire » retrouvé sous le nom de « couresse », serpent à qui le poète « entonne sous le sable » un hymne dans le premier recueil et dont il dit, dans le troisième, qu’ « avec le mot couresse on peut traverser un fleuve / peuplé de caïmans ».
Oui, Césaire travaille le mot, et c’est sans doute ainsi qu’il nous oblige à l’écouter, et pas seulement le lire avec les yeux. Le mot mangrove, le mot justice, le mot beauté. Le mot flamme, feu. Trois fois :
« Sur un arc de cercle
dans les mouvements publics des rivages
la flamme
est seule et splendide dans son jugement intègre. »
(Soleil cou coupé)
« (…) épée d’une flamme qui me bourrelle
j’abats les arbres du Paradis. »
(Corps perdu)
« drapeaux draperies scories pêle-mêle de fanfares
et de sèves
par feu par cendres
sachons :
la tache de beauté fait ici sa tâche
elle sonne somme exige l’obscur déjà
et que la fête soit refaite
et que rayonne justice
en vérité la plus haute »
(Moi, laminaire)
Et il nous invite à avancer, il nous incite à tourner le regard vers ce qui n’est pas encore connu.
« les baisers des météorites
le féroce dépoitraillement des volcans à partir
des jeux d’aigle
la poussée des sous-continents arc-boutés
eux aussi aux passions sous-marines
la montagne qui descend ses cavalcades à grand galop
de roches contagieuses
ma parole capturant des colères
soleils à calculer mon être
natif natal
cyclopes violets des cyclones
n’importe l’insolent tison
silex haut à brûler la nuit
épuisée d’un doute à renaître
la force de regarder demain »