Entretien (par téléphone)
Allez-vous bien, Antonio Caballero? L’état de votre personnage principal qui, lui, ne va pas très bien, oblige presque à poser la question.
Je vais bien, oui. En réalité, j’allais encore mieux pendant que j’écrivais ce livre.
On dit que vous avez mis longtemps à l’écrire…
Oui, j’y ai passé douze ans. Mais je n’ai pas écrit tout le temps, j’ai parfois laissé reposer le texte pendant des mois.
Et vous en parlez encore vingt-cinq ans après sa publication. N’est-ce pas très loin de vous?
J’ai eu l’occasion de m’en rapprocher plus récemment, parce que j’ai travaillé avec le traducteur de la version française. Donc, je n’en suis pas si éloigné.
Ce roman est plein de poésie. En avez-vous écrit?
Quand j’étais très jeune, mais je ne l’ai jamais publiée. Je ne prenais pas vraiment la poésie au sérieux. Au contraire des conquérants espagnols ou de certains de nos présidents, qui étaient poètes, obsédés par les mots. Moi aussi, en fait…
Votre personnage, en tout cas, se veut poète. L’est-il à vos yeux?
En fait, il n’ose pas. C’est un velléitaire, comme le lui dit d’ailleurs un autre poète. Il ne se lance vraiment dans la poésie qu’au moment où il se sent abandonné par tout le monde. Il n’a plus rien à perdre. Et il tente alors de confronter sa poésie au réel. C’est une catastrophe, puisque les autres le comprennent d’une manière différente. Je pense assez que le malentendu est quelque chose d’omniprésent dans les relations humaines. Au point de départ, je voulais écrire sur la difficulté d’écrire un poème, écrire sur la difficulté d’écrire. J’imaginais en faire une nouvelle, sans psychologie. Vous voyez ce que c’est devenu!
Cet homme n’est en tout cas pas sauvé par la poésie. Ni par les femmes. Celles-ci semblent plus proches de le sauver, malgré tout...
Il n’y a que les femmes qui pourraient le sauver. Mais ce sont elles qui le laissent tomber. Comme beaucoup d’entre nous, il préférerait évidemment qu’on l’aime.
N’avez-vous jamais eu envie d’écrire un autre roman?
Je ne crois pas que j’ai quelque chose d’autre à dire. Mais l’écriture ne me manque pas: j’écris tout le temps, puisque c’est mon métier. J’ai publié d’autres livres, très différents. L’un d’entre eux a un rapport avec le roman. C’est un livre continu sur la tauromachie, dans lequel je parle des gens et qui est aussi, d’une certaine manière, une réflexion sur l’art. Une réflexion sur les relations entre les personnes et l’art.
La tauromachie est donc un art?
Je connaissais les taureaux, comme tous les Colombiens. Mais il m’a fallu du temps pour comprendre à quel point la tauromachie est proche de la perfection.
D’où la fin du roman?
Je ne savais pas comment cela devait finir. Parfois, dans un roman, il vous manque quelque chose, comme un peintre qui trouve qu’il manque un peu de rouge sur sa toile. J’imagine que chaque romancier écrit d’une façon différente des autres, en fonction des besoins de ses livres. Mais, ici, la scène de tauromachie – la tache rouge qui me manquait – m’a fourni une sortie.
Vous avez vécu longtemps en exil. Comment l’avez-vous ressenti?
Je ne me suis jamais senti exilé, en réalité. J’ai vécu en France, en Espagne, en Angleterre, en Italie, un peu par hasard. Evidemment, il m’est arrivé de devoir quitter la Colombie à cause de menaces, parce que j’étais journaliste politique. Mais, depuis cinq ans, je suis installé à Bogota. Et, même pendant les quinze ans que j’ai passé à Madrid, je n’ai jamais eu le sentiment d’un manque.