Pas de questions pour broyer du noir mais juste une rencontre foudroyante avec Serge Lutens, aussi rare que ses parfums d'exception.
Brieuc : L'année prochaine vous fêterez vos 70 ans, et les 20 ans des salons du PALAIS ROYAL. Etes-vous homme à fêter les anniversaires?
Serge Lutens : Cela ne change rien. Quant aux « Salons du Palais Royal Shiseido », ils changent de nom, de temps (et je suis dedans) et, pour simplifier, se nommeront désormais, « Palais Royal-Serge Lutens ».
Brieuc : C'est aussi souvent l'occasion de porter un regard sur ce que l'on a fait? Etes-vous nostalgique? Quelles sont vos grandes fiertés?
Serge Lutens : Je n’ai pas de fierté : ce qui est fait est derrière moi. Tout cela a sans doute servi, à dire les choses de cette façon là, à ces moments là. Aujourd’hui, peut-être est-ce le moment d’une conscience et d’une mise en mots. Si la nostalgie doit exister ce n’est pas sous la forme d’un regret, car il est trop tard.
Brieuc : Vous êtes connu pour vos parfums orientaux chauds et capiteux et avez dérouté certains avec l'Eau, présenté comme une antithèse. Aujourd'hui, quelle serait la synthèse de votre travail?
Serge Lutens : Elle se donne par l’action, par ce que, dans l’instant je produis. Tant que je vis, la synthèse n’est pas possible. Elle se donnera en conclusion. Enfin, si je déroute, ce n’est que moi-même, et jamais en volonté d’y conduire d’autres. Je dirais que tout ce qui déstabilise crée, alors que ce qui stabilise m’endort. J’ai besoin d’une forme de danger qu’à défaut de pouvoir trouver, devant moi, j’invente.
Brieuc : De votre parcours, vous avez développé certains sens : le toucher comme coiffeur, la vue comme photographe ou réalisateur et bien sûr l'odorat, quand est il de l'ouïe et du goût? Comment s'animent t-ils chez vous?
Serge Lutens : Tout ce que j’ai pu faire ne fut que prétextes, jamais métiers ! Chacun m’a permis d’accomplir ce qu’ils pouvaient me révéler. Je ne pourrais pas écouter de musique en écrivant et vice et versa. J’ai également besoin d’une certaines anorexie pour aiguiser ma pensée. Disons que ma faim la nourrit. Cela n’est pas pour autant un état permanent. Il est nécessaire à…
Brieuc : Quel sens est le moteur de vos créations?
Serge Lutens : Le sens interdit.
Brieuc : Vous vivez depuis de très nombreuses années à MARRAKECH, PARIS vous apporte t-elle encore des choses?
Serge Lutens : Si je vis à Marrakech, c’est pour être à légère distance. Je le suis déjà, avec ou sans elle, mais, là-bas, je peux en un seul lieu, réunir ce qui m’est nécessaire pour occuper et édifier matériellement ma solitude, en rendant son sujet, sinon universel, tout au moins partagé. Paris, Berlin, Londres…c’est pareil, n’importe où n’est pas un lieu mais il pourrait devenir mon centre si je m’y retrouvais.
Brieuc : Vous avez entrepris de nombreux travaux dans votre résidence de la MEDINA... ces travaux sont ils achevés? Vous aviez en projet d'en faire une fondation? Est ce exact?
Serge Lutens : Les travaux sont achevés, mais je n’y résiderai jamais ! Il me semble, maintenant qu’elle est terminée, qu’à travers elle, j’ai pu réaliser une partie de moi-même, disons, la partie marocaine. Par ailleurs, il fallait aussi par cette maison, combler ce vide originel, c'est-à-dire l’achever…aux deux sens du terme. Quant à la Fondation – le mot lui-même est pesant, je l’avoue – si elle prend cette forme, ce sera, non dans le souci de me perpétuer, mais plutôt de ne pas négliger ceux qui m’ont accompagnés pendant toute la réalisation (plus de trente ans !) de cette reconstruction de moi-même.
Serge Lutens : Par ceux qui les portent plutôt et par ceux qui les accordent/et ou les différencient. Si un vêtement n’est pas « érotisé » - et là je ne parle pas de l’intention (qui serait vulgaire) - par un charmant défaut qui échappe à son contenant, cela n’est ni touchant, ni touchable.
Brieuc : Votre élégance est associée au noir? Avez-vous des créateurs fétiches? Un vêtement qui ne vous quitte jamais?
Serge Lutens : Mes vêtements sont du même ordre que moi. Ils sont fidèles et sont des repères. Je sais par eux, comment, et de quelle façon, je dois me conduire pour être partout moi-même, sans déranger.
Brieuc : Qu'est ce que le luxe pour vous aujourd'hui?
Serge Lutens : Ce qui pourrait me le faire craindre ou reculer devant lui, car le luxe est une frontière, à l’instar des porches de grands hôtels devant lesquels on passe enfant, et qui font battre le cœur…mais attention, car une fois franchis, comme l’illusion, la magie disparait et la Rolls-Royce quitte alors la route