« Le parti qui fait pitié ». Son ancien premier secrétaire qui n’a « rien fait » durant les dix dernières années. Depuis le durcissement de la campagne des primaires, les adversaires de François Hollande n’ont de cesse de le ramener à son statut d’ex-dirigeant du PS pour mieux fustiger son bilan. Un parti paresseux, incapable de se réformer ou de donner un président de la République à la France … La liste des griefs est interminable et ne laisse aucune place à la moindre once de bilan positif. A se demander comment la « veille maison » a pu survivre aussi longtemps sous la férule d’un patron aussi déficient !
Cette petite musique ne date en fait pas d’hier. Elle est resservie, sur des tons et avec un volume variés, depuis 2007, par tous ceux qui se retrouvent en opposition à François Hollande. C’est ce que j’appelle la légende noire du hollandisme. C’est classique : un nouveau pouvoir se construit toujours sur le dénigrement du précédent. La droite essaie ainsi systématiquement de rejeter les responsabilités de la dette et de l’insécurité sur le prétendu laxisme de la gauche quand elle gouvernait le pays. La légende noire du hollandisme participe du même procédé : une reconstruction biaisée et artificielle de l’histoire récente du Parti socialiste, pour rejeter tout ses problèmes sur un seul bouc émissaire, François Hollande. C’est en s’appuyant sur cette légende que la « motion D » du congrès de Reims, celle qui allait porter Martine Aubry à la tête du parti puis au sein des primaires, s’est imposée. C’est toujours grâce à cette légende que les adversaires de François Hollande espèrent le rattraper d’ici le 9 octobre prochain.
Alors, catastrophique et indéfendable, le mandat de François Hollande à la tête du PS ? Faisons un bref rappel historique. En mai 2002, le parti est K.O. debout suite à l’élimination de Lionel Jospin au premier tour de l’élection présidentielle. L’ex-candidat se mettant immédiatement en retrait de la vie politique, c’est à François Hollande qu’échoit la lourde tâche de mener la bataille des législatives et de limiter la casse face à une droite forte de son président élu à 82,21 %. Mission qu’il conduit honorablement, en évitant une déroute comme celle de 1993. Il réussit ensuite, lors des deux congrès successifs de Dijon et surtout du Mans, à préserver l’unité du PS, au bord de l’explosion après le 21 avril 2002 et surtout après le non-respect du vote des militants par Laurent Fabius, Henri Emmanuelli et Jean-Luc Mélenchon en 2005. On peut lui reprocher, sans doute, d’avoir trop sacrifié à l’unité et d’avoir empêché, ce faisant, des clarifications idéologiques pourtant indispensables pour le PS. Peut-être. Mais il faut bien comprendre l’alternative dans laquelle nous nous trouvions alors : si le PS avait explosé, cela en aurait été fini de nos chances en 2007, et Ségolène Royal, à supposer qu’elle soit investie, aurait connu le sort de Jospin en 2002, sans camp unifié pour la soutenir.
On peut ensuite se tourner vers le bilan des élections et des campagnes menées. Victoire aux européennes 1999. Défaite en 2002, mais dans une élection hyperpersonnalisée, et centrée sur un autre que lui. Triplé remarquable régionales-cantonales-européennes en 2004, année qui voit la gauche gouverner 21 régions sur 22 en métropole, et le PS devenir le premier parti de France. Échec au TCE en 2005, mais sur un enjeu dépassant le seul PS, et avec le handicap de la trahison de plusieurs ténors du parti. L’échec de la présidentielle de 2007, suivi de celui, encore une fois limité, des législatives, appelle le même commentaire qu’en 2002. Enfin, victoire aux municipales et cantonales de 2008. On peut toujours mieux faire. Mais le bref bilan de Martine Aubry, entaché de sa défaite historique aux européennes de 2009, est-il infiniment meilleur ? La réponse est dans la question.
Parlons ensuite de la rénovation et de la démocratie interne, qui auraient elles aussi connu un printemps inouï sous le secrétariat Aubry, après un terrible âge sombre du hollandisme. Là encore le bilan du « candidat normal » doit être revisité. C’est lui qui donne la parole aux militants, en 2004, sur le sujet fondamental du TCE, référendum interne d’ailleurs largement gagné. C’est encore lui qui rend possible, en 2006, la première expérience de primaires ouvertes socialistes, avec des adhésions à tarif réduit (les fameux « adhérents à 20 euros » qu’il allait être de bon ton, ensuite, de décrier) et par Internet. Le secrétaire de section que j’étais alors se souvient comment sa section avait doublé son nombre de militants grâce à cette innovation. Je n’ai pas vu le parti socialiste – qui dépasse la barre des 200 000 adhérents en 2007 – connaître ce genre de dynamique depuis 2009. Ce qui est une litote. On pourrait aussi parler du degré d’association et d’implication des militants dans la vie du parti. J’ai toujours été critique sur la trop faible emprise des adhérents sur le programme et les idées du PS, dès l’époque Hollande. Mais ce n’était rien comparé à ce que nous connaissons depuis maintenant plus de deux ans. La création du Laboratoire des Idées, combinée à la réduction des possibilités de contribution et d’amendement lors des conventions du projets pour 2012, ont produit un double processus d’externalisation et de bunkerisation de la réflexion du parti. Ce n’est sans doute pas tout à fait un hasard si les chiffres de participation aux conventions du projet flirtaient ces derniers mois avec les 20 ou 30%, quand le référendum interne sur le TCE était capable de mobiliser à 75% les militants en 2004 …
Mon propos n’est pas de tisser, a contrario, la légende dorée du hollandisme. Mais on aimerait voir cesser le bal des hypocrites. De ceux qui, non contents de réécrire l’histoire, oublient leurs propres responsabilités dans les échecs qu’ils rappellent à loisir. On consultera par exemple l’organigramme issu du Congrès pour Mans pour voir le nombre de contempteurs du « parti qui fait pitié » qui y avaient alors des responsabilités importantes, et parmi eux une certaine … Martine Aubry. S’il fallait vraiment sanctionner tous les dirigeants en place entre 2002 et 2008, je ne suis même pas certain qu’il subsisterait assez de monde pour faire la campagne d’un seul candidat – à condition qu’il reste encore un candidat !
Je pourrais avoir la bêtise et l’irresponsabilité, avec d‘autres soutiens de François Hollande, de rendre coup pour coup, et de m’amuser à mon tour à peindre une légende noire de l’aubrysme. En m’attardant sur sa première et cauchemardesque année de mandat, où non contente de rater une élection au point de faire perdre son mandat électif national à son porte-parole, elle a mené le PS au bord du K.O. technique, entre initiatives calamiteuses (le « printemps des libertés ») et polémiques sur son accession à Solférino. En rappelant que c’est paradoxalement parce qu’elle était en grande difficulté à la sortie de l’été 2009 qu’elle a cédé devant ceux qui réclamaient la mise en place de primaires ouvertes et d’un nouveau processus de rénovation dans le parti. En insistant sur les bourdes, les erreurs stratégiques, les micmacs avec la fédération des Bouches-du-Rhône.
Je ne le ferai pas. Parce que je ne crois pas que le débat doive se situer à ce niveau. Et parce que je ne partage pas cet étrange raisonnement selon lequel on devrait déduire les qualités d’un candidat à la présidentielle de la façon dont il a géré un parti politique – en mal comme en bien. La question qui nous est posée est simple : qui est, parmi les six « prétendants », le ou la plus à même de rassembler la gauche, de battre la droite et de redresser la France ? C’est l’unique question qui importe, celle que tentent justement d’éviter ceux qui instruisent le procès – uniquement à charge – de l’histoire récente du PS.
Romain Pigenel