Magazine Humeur

Presse et démocratie

Publié le 14 septembre 2011 par Feuilly

Il est inutile de continuer à parler ici de la situation en Libye. La pièce est terminée, il n’y a plus rien à dire. Les grandes puissances qui ont été à l’origine de cette guerre peuvent maintenant dépecer le pays, lui voler son pétrole et confisquer à leur profit les milliards que l’Etat libyen avait amassés à l’étranger. Une partie de cet argent servira à reconstruire la Libye. Officiellement, on dira que l’Europe et l’Amérique rendent au peuple opprimé les sommes que le dictateur Kadhafi leur avait volées. Ceux qui voient clair diront qu’une partie seulement des avoirs de l’Etat libyen vont retourner dans ce pays (le reste sera confisqué comme trésor de guerre) Encore faut-il préciser que la population n’en verra pas la couleur car cet argent servira à reconstruire tout ce que l’Otan a détruit avec application et méthode, toutes ces cibles qui ne ressemblaient pas forcément à des objectifs militaires. (centrales électriques, châteaux d’eau, etc.) Et qui va reconstruire cela ? Les entreprises françaises, pas les libyennes, évidemment. Si vous êtes cyniques, vous me direz qu’au moins cela donnera du travail à notre belle jeunesse qui végète au chômage à cause de la crise. Ne vous faites pas trop d’illusions ! On dit que Bouygues est le premier sur la liste pour aller proposer ses services en Libye. Il partira avec trois ingénieurs et deux architectes et il embauchera sur place une main d’œuvre bon marché. Trop de gens ont  tout perdu là-bas pour ne pas accepter un salaire de misère.

En clair, le peuple français a payé une guerre qui a appauvri le peuple libyen, une guerre qui va juste permettre à quelques privilégiés (français comme libyens) de s’enrichir honteusement.  

De son côté, Sarkozy espère maintenant vendre enfin ses Rafales aux nouveaux dirigeants. S’il y parvient, il fera d’une pierre deux coups. Il fera plaisir à ses amis milliardaires qui fabriquent les avions et il aura sur le sol africain une armée amie prête à défendre ses intérêts si besoin était (ou les intérêts de l’Otan).

Bref, ne parlons plus de la Libye. Je suis fatigué et écœuré de tout cela. Sans compter que  l’Histoire continue. C’est la Syrie qui est maintenant dans le collimateur, puis l’Iran suivra, évidemment. L’Histoire se répète et la population occidentale, comme un troupeau de moutons, suit aveuglément en bêlant de joie devant toutes ces démocraties enfin rétablies. 

Ce site se voulait un site littéraire, mais chaque fois qu’un grand événement se produit (l’avènement de l’empereur Sarkozy 1er, la guerre de Gaza, l’invasion de la Libye), je ne peux m’empêcher de me révolter et de tempêter. Cela ne sert pourtant à rien. La preuve est là : la Libye est maintenant un pays exsangue où se commettent des atrocités finalement plus horribles encore que celles commises par Kadhafi (comme en Irak, comme en Afghanistan, nous connaissons cela par cœur). Pourtant, ne rien dire aurait été lâche car cela aurait signifié un accord tacite (« Qui ne dit mot consent ») ou à tout le moins une résignation coupable.

Mais bon. Crier ne sert à rien, on le voit bien. Et même quand les peuples se soulèvent spontanément, comme en Egypte ou en Tunisie, les résultats obtenus sont bien en-dessous des résultats escomptés.

Bref, je me lasse de parler tout seul dans le désert. Pourtant, dans mon indignation, j’avais même publié l’article sur la Libye qu’on a pu lire ici dans différentes revues en lignes :ici, et puis là. Cela a provoqué pas mal de commentaires et je m’en réjouis, mais en gros je n’ai convaincu que des personnes qui pensaient déjà comme moi au départ.

Bref, le moment est donc venu de se taire sur ce sujet et de revenir à la littérature. Car finalement il faut vivre aussi pour soi (la vie est courte) et on ne peut pas indéfiniment dénoncer toute la misère qui règne dans le monde, surtout quand il y en a de plus en plus. Mahmoud Darwich, le poète palestinien qui était devenu célèbre auprès des siens pour avoir écrit quelques poèmes à connotation politique, l’avait bien compris. A un moment donné, il s’est tu et a renoncé à fustiger l’occupation israélienne pour se concentrer sur la seule poésie. Il a alors écrit sur la Palestine (« le pays de ma mère ») avec une sensibilité qui a sans doute fait plus pour dire la beauté de ce pays volé à ses habitants que tous les discours politiques.

Juste une question, avant d’en terminer. Une question qui me tracasse et à laquelle je n’ai que des réponses partielles. Vous savez que la démocratie repose sur quelques principes de base, comme la séparation des trois pouvoirs (législatif, exécutif, judiciaire) mais aussi sur la liberté de la presse. Un pays libre est un pays où la presse peut s’exprimer et où les journalistes peuvent dénoncer tout ce qui leur semble digne de l’être. C’est d’ailleurs un des points qu’on reprochait à Kadhafi : avoir nationalisé la presse, la radio et la télévision afin de ne diffuser qu’un discours officiel, qui ne risque pas de nuire au régime en place. Or, concernant cette guerre qui s’achève, la relation médiatique qui en a été faite semble pour le moins partiale, si pas complètement orientée. La presse dans  son ensemble a toujours tenu le même discours : d’un côté un tyran sanguinaire qui massacre sa population et de l’autre des pays épris de démocratie qui viennent protéger un peuple opprimé. Les images qu’on nous a montrées sont venues renforcer ce discours.

Et pourtant…

Et pourtant, si on en croit quelques journalistes indépendants, la réalité était tout autre. Les premiers, ils ont douté que les personnes de race noire qu’on leur a montrées étaient des mercenaires. Les premiers ils ont souligné le côté hétéroclite de la coalition (communistes, anciens royalistes, musulmans intégristes) et ils ont insisté sur ses divisions. Les premiers ils ont parlé d’exactions lors de l’avancée des troupes du CNT et enfin, les premiers, ils ont dénoncé le rôle de l’Otan qui, loin de protéger la population contre l’armée de Kadhafi (voir résolution de l’ONU) se livrait à des bombardements aveugles, visait des cibles civiles et détruisait systématiquement toute l’infrastructure du pays. Enfin, ces mêmes journalistes indépendants ont dénoncé les massacres et les règlements de compte qui se produisaient chaque fois que les troupes rebelles s’emparaient d’une ville.

Avons-nous pu lire dans nos journaux ou entendre sur nos antennes de semblables discours ? Nullement. Pourtant les grands médias avaient eux aussi envoyé leurs journalistes sur place. Ils ne peuvent pas être tous incompétents. Ils ont dû voir des choses (ou alors ils sont restés dans leur chambre d’hôtel et se sont contentés de recopier les comptes-rendus officiels qu’on venait leur apporter). Ils ont dû dénoncer les exactions (à moins qu’ils se soient censurés eux-mêmes pour conserver leur emploi). Or nous n’en avons rien su. Pourquoi ?

Ne me  dites pas que ce sont les journalistes indépendants qui ont menti. Depuis, des organismes comme Amnesty international ou d’autres ont confirmé leurs dires : massacres de population noire par les rebelles, exactions, viols, exécutions sommaires, pillages, etc. Quant à l’Otan il continue de bombarder systématiquement le fief de Kadahfi, faisant forcément de nombreuses victimes innocentes parmi les civils, ce qui est bien contraire à la mission de protection de la population que l’ONU lui avait confiée.

Depuis, on sait que les dirigeants de la coalition ne sont pas tous recommandables et que derrière tout ce conflit il y a une question de gros sous (contrats pétroliers juteux, reconstruction, privatisations de pans entiers de l’économie libyenne, importance accrue du FMI auprès des pays d’Afrique, qui ne pourront plus compter sur l’aide financière de Kadhafi, projet d’une base militaire de l’Otan en Afrique du Nord, etc.).

Mais il est trop tard. Le mal est fait en quelque sorte. La population occidentale prend conscience après coup que la réalité n’était pas aussi rose que ce qu’on lui avait dit. Comme en Irak et en Afghanistan, elle est mise devant le fait accompli. Après, elle se résigne et oublie. Qui, aujourd’hui, va se lever pour dire que Sadam Hussein (indépendamment de tout ce que l’on peut penser du personnage) n’avait pas d’armes de destruction massive ou que s’il en avait (voir les bombardements « chimiques » de certains villages kurdes), elles lui avaient été fournies par les Américains eux-mêmes afin qu’il s’en serve contre les Iraniens ? Personne ne va se scandaliser de cela aujourd’hui puisque c’est une vérité que tout le monde connaît maintenant.

Et bien, en Libye, c’est le même mensonge médiatique qui a permis (et qui a même justifié) une guerre coloniale.

Alors ma question est la suivante : comment cela est-il possible ? Comment notre presse, gardienne de notre démocratie, peut-elle s’avilir en s’acoquinant ainsi avec le pouvoir ? On dirait qu’elle reçoit ses ordres de ce pouvoir dont elle est supposée dénoncer les exactions.

Il est vrai que les grands groupes de presse ont été rachetés par des personnes puissantes, plus ou moins les mêmes que celles qui sont impliquées dans tous ces conflits. Ceci explique peut-être cela.

Reste à savoir, dans ces conditions, si nous sommes encore en démocratie. En effet, les mensonges manifestes de notre presse officielle doivent nous amener à nous poser des questions. Notre régime politique, fondé sur la liberté individuelle et la transparence n’est-il pas tout doucement en train de se rapprocher de ces régimes dictatoriaux qu’il s’enorgueillit tant de combattre ? 

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