Aurelien, sois gentil tu veux, pardonne-moi.
Jusque là je n'avais pas trop écouté ta musique et la seule chose que j'en avais retenu c'était LA polémique autour de "Sale Pute" (je ne condamnais rien moi à l'époque, je suis plutôt pour la liberté d'expression d'une façon générale et je crois qu'au final ton texte ne présentait pas un grand danger en plus. Et puis bon, on le sait,régulièrement, les gens-bien-pensants s'offusquent de ce qu'un groupe de rap appelle la population à se soulever et menace la bonne-morale (j'ai en mémoire le scandale autour du "sacrifice de poulet" de Ministère Amer mais je suis sûre qu'en cherchant bien on doit pouvoir en trouver plein).
Entre nous en plus, tout ce qui contrarie la mère Boutin a tendance à plutôt me mettre de bonne humeur en général. Donc rien de grave.
Sauf que, ensuite, j'ai découvert l'existence de Saint Valentin". Et là j'ai aimé moyen. Note bien qu'à la première écoute j'ai ri. Plusieurs fois même. Oui parce que bon, y'a de quoi.
Et après je me suis dit "oh mais lui, j'le vois venir, il récidive après "l'affaire sale pute" pour faire parler de son cas et faire un buzz facile". C'est ce qui m'a irritée. J'ai définitivement décroché. Alors qu'en fait depuis j'ai vérifié, Saint Valentin existait bien avant Sale Pute. Il ne s'agissait pas d'une tentative de redonner de l'ampleur au buzz, simplement c'est le buzz qui a fait remonter à la surface un titre passé inaperçu (enfin pour la plupart des gens) quelques années plus tôt...
Maintenant je peux bien te l'avouer je regrette un peu de m'être trompée.
Oui parce que cet été tu as publié une vidéo que j'ai trouvée vraiment très drôle, et qu'ensuite tu as balancé le clip de 1990. Il n'en fallait pas plus pour nous réconcilier.
Je me suis dit : celui qui est capable de faire ça a forcément autre chose à défendre que ce qui a été énormément mis en avant sur son premier album : Allons étudier ça de plus près...
Et là : Surprise.
A côté de "sale pute", il y a pas mal de choses intéressantes sur cet album (Perdu d'avance). Mention spéciale à "pour le pire" qui m'a VRAIMENT mais vraiment bien fait rire rapport à une discussion récurrente que j'entends souvent abordée en comité 100% féminin, à savoir "non mais les mecs devraient arrêter de nous prendre pour des connes courges et cesser leur baratin" alors qu'en fait, soyons claires, un minimum de baratin est nécessaire pour parvenir à ses fins. La preuve dans cette chanson.
D'ailleurs tiens ça me fait penser à une illustration de Voutch (un de mes coups de coeur récent aussi, lui, mais côté illustration) :
Alors voilà, comme quoi tout peut finir par arriver, je suis bien obligée de l'avouer : j'aime bien Orelsan.
Et même que je me suis trompée et que ça m'ennuie un peu de ne pas être allée voir plus loin que ce qu'on a bien voulu en présenter à un moment donné.
Parce que bon maintenant, je m'en vais te donner quelques raisons, à toi aussi, de l'aimer :
Orelsan n'est pas dupe (ils sont cools, le chant des sirènes...)
Orelsan a rencontré le succès. Mouvementé, certes. Mais un gros succès.
Il a croisé du monde, évolué dans les sphères médiatiques et revient avec des mises en garde contre les tentations et perversions du star system, contre le piège des réseaux sociaux, des relations factices, de ces amitiés innombrables qui n'ont pas vraiment de réalité...Lucide et sensé.
Orelsan revient de loin (ils sont cools, le chant des sirènes, Raelsan) :
Après le premier album, il raconte qu'il a bien failli tout arrêter, ne pas livrer son deuxième opus, qu'il est passé par des phases de doute mais finalement c'est l'envie de faire sa place et de faire ses preuves qui l'ont emporté. Le besoin de montrer qu'il est capable de faire autre chose que ce dans quoi tout le monde l'a catalogué sans doute aussi : le buzz facile à base de provoc' gratuite et parler-sexe décomplexé.
Orelsan a un coeur qui bat sous son sweat à capuche.
Sur La terre est ronde il exprime de vrais bons sentiments, faisant fi du danger d'être taxé de sentimentalisme "au fond j'crois qu'la terre est ronde, pour une seule bonne raison, après avoir fait l'tour du monde, tout ce qu'on veut c'est être à la maison" et sur finir mal c'est la détresse profonde de celui qui n'arrive à pas tirer un trait sur une histoire qu'il a sabordée qui est évoquée.
En cas de doute, écouter aussi "Si seul" et "la petite marchande de clés" pour s'en convaincre.
Orelsan aime les clins d'oeil et est VRAIMENT drôle.
Des clins d'oeil il en fait partout (depuis le "mon nom à moi c'est Orelsan et oui tu l'as deviné" : big up au mythique Benny b) au complètement dingue et évident 1990 qui évoque toute une période du rap "old school" avec son clip hyper soigné qui m'avait fait complètement craquer, le chant des sirènes regorge de petites références qu'on se plait à recenser au fil des écoutes. Délectable.
Et puis Mauvaise idée et son énumération de projets de loser tous promis à l'échec saura forcément te faire sourire. Sinon checke la fin des morceaux "ils sont cools" et "la morale" et dis moi si tu as pu résister...
Détail qui fait mouche : Il ponctue certains de ces morceaux par un petit rire léger qu'on trouvait déjà sur certains titres de "Perdu d'avance" : j'adore.
Orelsan sait d'où il vient.
De Caen et il se plait à le mentionner. Tout le temps.
"j'viens d'Caen, ça s'entend, j'ai l'accent bas normand", "d't'façon j'habite à Caen, j'entends qu'la pluie battante"...et plein d'autres références saupoudrées un peu partout sur l'album. Il n'a pas cédé à l'admiration hébétée des parisiens branchés. Au contraire.
Mais alors, Orelsan, il a complètement changé?
Mais non voyons, il est toujours là, simplement il a évolué. On retrouve son pessimisme assumé (lucidité exacerbée?), ses mots qui font mal (notamment sur Suicide social, une claque, un de mes morceaux préférés ), son acuité particulière dès lors qu'il s'agit de saisir l'air du temps et un talent de lyriciste avéré... S'il est loin d'être tombé dans le politiquement correct il assume l'élargissement de la palette des émotions évoquées. J'ai aimé.
Un truc assez remarquable c'est que pas mal des morceaux de l'album m'en ont évoqué d'autres. C'est souvent le cas ceci dit mais là je trouve que les ressemblances me sont venues avec une certaine évidence...
Par exemple "plus rien ne m'étonne" m'a tout de suite fait penser à "les temps changent " de Solaar, alors que "La petite marchande de clés", titre ô combien saisissant, qui décrit une vie comme un cauchemar éveillé : sordide et improbable avec son refrain sous forme de comptine exotique m'a immédiatement renvoyé au "Dodo" de Stromae. "Si seul" faisait écho à "l'ultramoderne solitude" de Souchon avec sa peinture de l'isolement individuel malgré le flot urbain ("des tonnes de personnes défilent devant mes yeux, pourtant j'me sens si seul...") et l'album héberge aussi la version trash du "désolé pour hier soir" de Tryo (Des trous dans la tête): Bien plus efficace du coup. A mon sens.
Orelsan a la plume acerbe, un flow ultra efficace et dessine un personnage intéressant à travers les morceaux de ce second album : L'armure se fissure, la mélancolie lourde (Elle viendra quand même,...) est assumée. Et puis force est de lui reconnaitre un talent certain pour ce qui est de dresser des portraits (Gros poissons dans une petite mare par exemple : excellent titre auquel il fait un clin d'oeil dans "Si seul", d'ailleurs, la morale, ....) et de saisir ce qui fait l'essence d'une génération.
Ne t'inquiète pas, hein, Orelsan n'est pas complètement calmé non plus, loin de là : Quand il mord, il faut reconnaitre que ça sonne toujours juste : Dur mais pertinent, son verbe incisif ne se contente pas d'égratigner mollement mais fait couler le sang, ouvre les plaies et c'est bon.
Côté son, il ne se contente pas de rapper, on découvre pas mal de parties chantées (sur Si seul, par exemple, mais on en retrouve souvent) avec parfois même des choeurs appelés en renfort. S'il y a une chose qui frappe c'est l'évidence de la recherche musicale, d'une production vraiment soignée. On sent que cet album a été peaufiné.
Bon il a eu le temps bien sûr : Depuis 2 ans, ça n'est pas vraiment qu'il avait disparu, c'est plutôt qu'il se faisait discret : Saint Valentin lui avait permis un retour fracassant et on se souvient notamment d'une
participation sur un morceau de Toxic Avenger, "n'importe comment".
En bref, le second album d'Orelsan est celui d'un artiste qui assume ses défauts sans chercher à plaire à tout prix et je trouve qu'il y a une certaine noblesse à défendre ce que l'on est tout en sachant que l'accueil sera peut être plus compliqué que si on avait fait le choix de concéder une certaine forme de consensualité.
Il ne renie pas ce qu'il a été mais il apporte de la nuance au portrait qu'on avait pu dresser après son premier album.
On a coutume de dire que grandir c'est devoir faire des choix et que choisir c'est renoncer, Orelsan, lui poursuit sa carrière d'artiste en explorant de nouvelles pistes qui l'amènent à faire de nouveaux choix mais sans renoncer à ce qu'il est. Il délaisse un temps son costume d'adolescent égocentré (que j'ai pourtant aussi beaucoup aimé en découvrant son désabusé "Perdu d'avance") pour endosser celui d'un Homme qui, s'il livre toujours ses états d'âmes, s'ouvre aux autres : Franchement intéressant.
Il sera au Bataclan le 14 décembre. Toi aussi du coup?
Moi je crois que oui!
Mon Top 3 :
1. La petite marchande de clés ex aequo avec Suicide Social : uppercuts musicaux.
2. Double vie : Il faut lui reconnaitre le mérite de l'honnêteté et puis...c'est si drôle! (oui encore mais moi j'ai ri plein de fois avec cet album, je te l'ai dit déjà) (il s'agit de la confession d'un salaud installé dans un confort domestique avec sa "régulière" qu'il trompe éhontément à longueur de journée sans une once de culpabilité. Elle me rappelle son "Pour le pire"
3. Ils sont cools : Trop drôle enfin!