La ville : Grand bleu sur Youbi vendredi, et ça change pas mal de choses. Quand la température monte, la fumée et la pollution montent également, et permettent à la ville de respirer un peu mieux. L'horizon se dégage, et on se rend compte qu'en effet, Youbi est entourée de montagnes grises et bleues. Le sentiment d'oppression disparait peu à peu, et on se dit qu'on reviendrait bien jeter un œil en été.
Vendredi matin, départ pour une localité située à une quarantaine de kilomètres au Sud d'Ulan Bataar. Dès les frontières de la villes franchies, le paysage est à couper le souffle... troupeaux de moutons dans la steppe, tentes parsemées... absence totale d'arbre et végétation se résumant à quelques touffes cramées émergeant d'une fine couche de neige (eh oui, il fait moins froid donc il neige), qui suffisent visiblement à nourri les moutons, vaches très poilues et petits chevaux trapus qui se comptent par dizaines de millions en Mongolie (population 2,5 millions). La ville que nous atteignons compte quelques milliers d'habitants. Construite par les Soviétiques, elle comptait de nombreuses fabriques de ciments et de briques, dont la plupart ont fermé après 1990. L'architecture correspond à l'image que l'on peut se faire de la Sibérie: petites maisons de bois colorées serrées contre les autres et protégées par des palissades. Une ambiance très "Far East", ville champignon poussée au milieu de nulle part. Trois soeurs sud-coréennes tiennent une école, accueillant les enfants dont les parents ne peuvent payer l'éducation et la matériel scolaire.
Coupée de tout, dépourvue d'emploi, la ville semble pourtant plus vivable que les faubourgs d'Ulan Bataar, composés en majorité de tentes traditionnelles (les Ger) entassées sans électricité ni eau courante. Des conditions déplorables auxquelles s'ajoutent l'alcoolisme et la violence familiale... théorie intéressante développée dans "History of Mongolia" par un intellectuel nommé "Baabar" (sic): c'est l'ingénierie sociale promue par les soviétiques à partir de 1921 qui est à l'origine des problèmes des femmes en Mongolie. En détruisant le cadre de la famille traditionnelle, dans lequel la femme était puissante et respectée, le bolchévisme a fait de la femme mongole la victime de violences domestiques qui n'existaient pas auparavant... le mirage de la capitale, autour de laquelle s'entassent d'ex nomades ayant parfois vendu leur troupeau pour s'installer là, est comparable à celui de l'Europe ou de la Corée du Sud, vers lesquelles se dirigent des milliers de Mongols trompés par les "passeurs" auprès desquels ils s'endettent pour plusieurs milliers d'euros...
Les gens : Une lecture de l'histoire de la Mongolie au XXème siècle permet peut-être de comprendre pourquoi il est rare de voir un sourire sur un visage Mongol. C'est en tous cas une explication possible pour le manque total d'amabilité et de chaleur humaine que j'ai perçu dans cette ville. Celà ne semble pas être une attitude envers les étrangers : dans la rue les Mongols se rentrent dedans sans se regarder, sans sourire, sans croiser le regard. Une hostilité sourde et glaciale qui fiche franchement le bourdon. Traversant une université bondée pour rencontrer le doyen du département de science sociale, je n'ai pas vu le moindre sourire ou la moindre étincelle dans un regard... un poil préoccupant tout de même. D'après un étranger ayant couramment appris le Mongol, les Mongols ne possèdent pas dans leur langue d'expressions usuelles pour dire "merci" ou "pardon". Evidemment, après avoir trainé au Kurdistan, l'on développe quelques attentes en termes de contact humain. Je dois encore donc voyager, afin de me faire à l'idée qu'il y a des endroits ou les gens sont encore plus odieux que dans une gare de RER de banlieue parisienne.
Heureusement, la visite de deux "kindergarten" soutenus par une ONG locale me permettent de faire une provision de grands sourires et de regards ravis. Les gamins Mongols ne semblent pas toucher par le blues de leurs parents, et sont ravis de réciter de longs poèmes mongols d'une seule traite, avec petit salut digne à la fin!
Photos à venir, je dois récupérer celles prises par mes collègues. Mon appareil m'a été "subtilisé" sous mes yeux par quatre pickpockets. Petit enseignement: si vous sentez une main dans votre poche, et que vous attrapez cette main, vous n'êtes pas plus avancé quand vous ne parlez pas la langue, que tout le monde autour de vous s'en contrefout, et que vous vous dites qu'il vaut mieux laisser partir le bonhomme qui pourrait bien vous refiler un coup de lame... la même scène au Kurdistan ou en Turquie, et le voleur était pré-lynché par une foule en colère me rendant l'appareil photo avec le sourire...