Le keynésianisme est mort d’une overdose de relance. L’urgence est de libérer la croissance en libérant les entreprises. À cette fin, il est temps de laïciser l’économie en la séparant de la politique.
Par Jean-Yves Naudet
Publié en collaboration avec l’ALEPS(*)
Barack Obama a appelé fin août la directrice du FMI, Christine Lagarde, pour insister sur la nécessité de relancer l'économie.
La relance demeure l’obsession des hommes politiques, qui récitent le credo keynésien.
La semaine dernière nous évoquions la croissance zéro et le ralentissement économique quasi-général en Occident. Quelle est la réponse politique ? Il faut relancer.
Par la monnaie, disent les uns, par les budgets, disent les autres. Oui, mais l’inflation ? La dette publique ? Les déficits explosifs ? La règle d’or ? Oubliés par les Obama, Lagarde, et autres Ben Bernanke. Le discours ne varie pas : « certes, il faut être rigoureux, mais l’urgence, c’est la relance pour lutter contre la récession ». Quand donc les hommes politiques cesseront-ils de persister dans l’erreur ?
L’internationale de la relance
Avouons notre naïveté. Nous avions pensé qu’avec la crise des finances publiques due à la cavalerie des États (qui remboursent les dettes en faisant de nouvelles dettes – à la manière de Madoff), les gouvernants auraient enfin compris. La règle d’or, interdisant les déficits, recueillait tous les suffrages. Les États semblaient avoir compris que les déficits ne relançaient rien, sinon les déséquilibres financiers et la peur des épargnants. Peut-être commençaient-ils à réaliser que la politique monétaire ultra-laxiste pouvait conduire à l’inflation et que de toute façon on ne pouvait baisser le taux d’intérêt en dessous de zéro !
Il n’en était rien. La presse a salué à sa façon le retour en force des idées de relance. « Obama, Merkel, Lagarde, Bernanke d’accord pour une nouvelle relance » titrait Le Figaro-économie. « Les marchés sont apaisés par la relance évoquée aux États-Unis et en Allemagne » affirme Le Monde. Si les marchés sont apaisés par la relance, alors tout va bien. Jusque-là, ils nous semblaient plutôt inquiets des dettes publiques résultant des plans de relance.
La presse peut se tromper : allons donc voir à la source. Le Président Obama a téléphoné à Angela Merkel, jusque-là la plus réservée sur la relance. Communiqué officiel : « Les deux leaders sont d’accord sur l’importance d’une action concertée, y compris dans le cadre du G20, pour relever les défis économiques actuels, stimuler la croissance et l’emploi ». Comment Angela Merkel va-t-elle concilier la règle d’or qu’elle a fait adopter et cette proposition de relance ?
La nouvelle directrice du FMI, Christine Lagarde, y est allé de son couplet, après avoir reçu un coup de fil du même Obama : « Le Président et la directrice générale s’accordent sur le besoin de politiques qui renforcent la croissance et les créations d’emplois à court terme, tout en garantissant pour le moyen terme une consolidation fiscale ». Ces choses-là sont dites en termes choisis : « Consolidation fiscale » ! Traduction : des hausses d’impôts. Pour relancer la croissance, c’est en effet l’idéal ! C. Lagarde est allée plus loin : « Le risque de récession dépasse le risque d’inflation ». Avec des centaines de milliards d’emprunts publics achetés par la banque centrale, ne pas craindre le risque inflationniste, c’est original.
Des politiques « accommodantes »
Et C. Lagarde de poursuivre en parlant d’une « nouvelle phase dangereuse ». « Mettre l’accent en priorité sur des mesures durables qui généreront des économies demain, ce qui, à son tour, aidera à dégager une marge de manœuvre aussi large que possible pour soutenir la croissance aujourd’hui ». En clair ? Relancer aujourd’hui, tout en programmant des mesures à long terme permettant de mieux relancer demain. Mais qu’on se rassure : « Il ne s’agit pas nécessairement de se serrer brutalement la ceinture ».
Il ne manquait que Ben Bernanke dans le tableau. Il est vrai qu’avec un taux d’intérêt de la Fed. à 0% et un rachat de 600 milliards de dollars de titres publics, on le croyait tenu à une certaine discrétion. Pas du tout. D’ailleurs C. Lagarde lui avait recommandé de maintenir « une politique monétaire très accommodante ». La Fed. a tenu à faire savoir dès la mi-août qu’elle maintiendrait ses taux d’intérêt proches de zéro au moins jusqu’en 2013. Certains membres voulaient même aller plus loin, notamment en liant la politique monétaire des taux d’intérêt à un taux de chômage bien précis, comme s’il y avait une corrélation entre les deux. Finalement « ils ont bien voulu accepter l’orientation plus marquée donnée pour l’avenir comme une étape sur la voie d’une accommodation supplémentaire ». Traduisons : une nouvelle relance monétaire, sans doute encore des achats par la Fed. de centaines de milliards de dollars en bons du trésor. Ben Bernanke confirme sa politique monétaire de relance à tout va, et souhaite d’autres « mesures de politique économique pour soutenir la croissance », sous-entendu des politiques budgétaires. Il veut bien relancer encore, mais pas tout seul. Mais qu’on se rassure : « la réserve fédérale a une gamme d’outils qui pourraient être utilisés pour fournir des sources supplémentaires de stimulation monétaire ». Certes, la BCE de J-C Trichet semble plus raisonnable et annonce que l’inflation sera supérieure à 2%, ce qui ne l’a pas empêché de racheter plus de cent milliards de titres publics grecs ou autres.
Toujours la demande globale
Ainsi donc le ton général est-il à la relance. Faut-il rappeler à tous ces « relanceurs professionnels » que le dogme keynésien s’est effondré face à la réalité. Il y a des années que chacun relance : la relance monétaire aux États-Unis dès les années 2000 a conduit à la crise des subprimes, aux désastres bancaires et financiers et à la récession. La relance budgétaire existe sans interruption depuis 20 ou 30 ans via le déficit budgétaire ; elle a été amplifiée en 2009. Résultat : jamais la croissance n’a été aussi faible et le chômage aussi élevé, tandis que les déficits et la dette ont explosé, entrainant l’incapacité des États à rembourser ou à emprunter à des taux acceptables.
Les déficits ont asséché le marché financier et compromis le financement des investissements (effet d’éviction). La relance a parfois accru la consommation dans un premier temps, mais on s’est contenté de consommer des produits importés disponibles et meilleur marché, sans aucun effet sur la croissance intérieure, et la consommation est aussitôt retombée. D’une manière générale, comme les effets (provisoires) d’une relance (ou d’un freinage) sont lents à se produire, et que la conjoncture est très fluctuante, la relance arrive toujours au mauvais moment, la conjoncture ayant changé entre temps. Elle aggrave donc la crise, et le « stop and go » est la pire des politiques. C’est elle qui conduit toujours à la stagflation.
Tout cela est tellement connu qu’on a honte d’insister sur ce qui est évident pour n’importe quel étudiant débutant, mais aussi pour tous les citoyens qui voient que plus on relance, plus la croissance est faible, avec en prime des effets négatifs. Pourtant le discours incantatoire se poursuit.
D’ailleurs, même dans une logique keynésienne, que signifie une relance monétaire quand les taux d’intérêt sont à zéro ? Va-t-on payer les banques ou les entreprises pour qu’elles empruntent ? Que signifie une relance budgétaire quand les montagnes de dettes conduisent les pays à la quasi-banqueroute ? En réalité, on le voit dans les discours cités ci-dessus, chacun se renvoie le mistigri : c’est à votre tour de relancer. Ce spectacle est pitoyable et achève de discréditer la classe politique, incapable d’ouvrir les yeux sur le monde réel. Le sommet est atteint avec ceux qui veulent faire voter une « règle d’or » budgétaire (donc l’absence de déficit) tout en appelant à une relance : totale schizophrénie !
Séparer l’économie de la politique
En réalité le keynésianisme est mort d’une overdose de relance. Les politiques doivent donc chercher une autre piste. La croissance vient d’entreprises qui investissent parce qu’elles sont libres de leurs choix et que l’incertitude politique ne vient pas les brider. L’urgence est donc de libérer cette croissance en libérant les entreprises. Cessons de courir après la demande, puisque l’offre crée sa propre demande. Et brisons les chaînes fiscales, sociales, réglementaires, administratives qui pèsent sur l’offre.
Il faut rétablir la liberté de création de monnaie, régulée par la concurrence, et la liberté des taux d’intérêt. Il faut revenir à l’équilibre budgétaire, en réduisant les dépenses publiques, donc la place de l’État. Il faut diminuer les impôts et charges pour libérer les énergies productives. Pour résoudre cette équation, il faut privatiser. Remettre l’État et les hommes politiques à leur place. On a séparé, dans la douleur, mais pour le bénéfice de tous, la religion et la politique ; il faut maintenant laïciser l’économie en la séparant de la politique. Les hommes politiques n’ont pas à s’interroger sur la relance ; la reprise interviendra quand les acteurs économiques seront libres. Ne pas relancer l’économie, mais la laisser vivre.
Sur le web
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(*) L’ALEPS, présidée par le Professeur Jacques Garello, est l’Association pour la Liberté Économique et le progrès social, fondée il y a quarante ans, sous l’autorité de Jacques Rueff, dans la tradition intellectuelle française de Jean Baptiste Say et Frédéric Bastiat.