"Ma femme avait pris en grippe notre existence, et je sentais monter en elle tous les signes de la frustration. En quelques mois, elle avait semblé ne plus se reconnaître, jusqu'à se renier, tenir un discours parfois blessant et suspecter les personnes avec qui elle partageait cette vie, moi en particulier, comme si j'étais responsable de ce qu'elle commençait à ressentir comme un échec. Alors la possibilité d'une maison que nous ferions construire était l'unique issue, la solution pour échapper à un quotidien qui promettait de nous étrangler. Notre quotidien qui, à y penser aujourd'hui, était simplement heureux parce que nous allions bien tous les quatre, mais nous n'avions pas conscience de cette évidence, non, ne nous sautaient aux yeux que l'inconfort et la promiscuité dans lesquels nous vivions."
"Mais nous imaginions que la vie se déroulait selon une ligne droite et que l'avenir serait forcément meilleur, nous pensions que la vie s'améliorait au fur et à mesure, c'est ce que nous observions autour de nous, chacun attendait ce qui allait le libérer, nous pensions que le bonheur était une conquête, une promesse, qu'il arrivait après une suite d'empêchements, après une série d'obstacles, une succession d'espoirs. Il manquait au départ toujours quelque chose, il manquait une voiture, un diplôme, un amour, un enfant, un appartement, un travail, un jardin, il manquait de l'argent, la vie n'était que manque mais le temps allait tout résoudre, allait tout construire, tout simplifier."
Extrait de Pas d'inquiétude de Brigitte Giraud, Rentrée littéraire 2011
(Je suis pour l'instant sous le charme, je l'ai presque terminé.)