Dans la banlieue māorie pauvre d’Auckland, en Nouvelle-Zélande, Jake et Beth tentent d’élever leurs enfants. Mais Jake, homme alcoolique et violent, supporte mal de descendre d’ancêtres esclaves et son influence sur sa famille se montre toujours plus néfaste : alors que son fils aîné rejoint le gang Toa qui tente de retrouver les rites traditionnels des guerriers Māoris, son cadet se fait arrêter pour vol avant de se voir placé dans un centre de redressement, et sa fille unique se réfugie dans l’écriture de contes…
Dès les premières images, l’ambiance se montre familière. Ça pourrait se passer dans certaines banlieues de New-York où croupissent ces Noirs dont les ancêtres arrivèrent au Nouveau Monde couverts de chaînes. Ou bien quelques milliers de kilomètres plus à l’ouest, dans un de ces villages où des descendants d’amérindiens tentent de préserver des traditions incompatibles avec la modernité. Ou encore dans certains de nos « quartiers » où les enfants d’immigrés ne savent plus comment se faire une place au sein d’une société qui n’a jamais vraiment voulu d’eux… C’est le discours éternel de ceux qu’on a dépouillé de leurs racines par la colonisation avant de les assommer sous les mirages d’une modernité qui en fait les asservit toujours plus.
Avec L’Âme des guerriers, son premier film, Lee Tamahori nous montre que les choses ne vont guère mieux à l’autre bout du monde. Ce dont on ne s’étonne pas : pourquoi ce serait mieux ailleurs après tout ? Mais sous le vernis de l’exotisme des cultures insulaires du Pacifique, ce film présente surtout un drame humain à la force rare, qui s’inscrit dans un certain présent pour mieux exorciser un passé que l’œil de l’occidental, ici, peine à saisir tant il le concerne en fin de compte assez peu. C’est une leçon d’Histoire que donne ce film, en nous rappelant combien nos ancêtres à nous ont pu briser de civilisations pour y imposer la leur, la nôtre, mais si loin de chez eux que leurs compatriotes n’y firent que très peu attention.
Voilà pourquoi leurs descendants, c’est-à-dire nous-mêmes, gagnerions à voir L’Âme des guerriers. Au moins pour se rappeler que notre barbarie coloniale se répandit jadis aux quatre coins d’un monde qui, pourtant, n’en demandait pas tant. Ce sera d’ailleurs aussi l’occasion de voir un jeu d’acteur souvent époustouflant, que les quelques faiblesses ponctuelles de cette première réalisation ternissent à peine. À la fois un bref mais très intense voyage sur les terres Māories, ce film agit comme une marée montante qui nous submerge peu à peu dans des vagues d’émotions successives où la passion le dispute toujours plus à la violence jusqu’à ce que survienne une forme de rédemption à travers le retour tant attendu aux racines.
Une plongée en apnée dans la gueule béante d’un enfer quotidien, et au final un grand moment de cinéma – un du genre qui ne laisse pas intact…
Récompense :
Prix du Meilleur premier film à la Mostra de Venise, en 1994.
Notes :
L’Âme des guerriers est inspiré du premier roman à succès d’Alan Duff, sorti en langue originale en 1990 et disponible en français chez Actes Sud (collection Babel, mai 2002, ISBN : 978-2-742-73818-2). Ce roman connut une suite, Les Âmes brisées (What Becomes of the Broken Hearted?, 1996), qui obtint le Prix New Zealand Post et qui parut en France chez le même éditeur : cette séquelle se vit elle aussi portée à l’écran, sous le titre de L’Ame des guerriers II (Ian Mune ; 1999). Un troisième volume, Jake’s Long Shadow, parut en 2002 et reste sans traduction en français à ma connaissance.
L’Âme des guerriers (Once Were Warriors), Lee Tamahori, 1994
Fox Pathé Europa, 2000
99 minutes, env. 30 €