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Histoire d'une fille de ferme

Publié le 13 septembre 2011 par Dubruel

D'après Maupassant :

Dans sa pièce mansardée,

Rose s’étendit sur la banquette,

Les jambes allongées,

Les bras sous la tête.

 

Soudain deux mains libertines

Lui saisirent la poitrine.

Elle se redressa.

C’était Nicolas,

Le valet du métayer

Qui depuis l’été la courtisait.

Il essayait

D’embrasser la servante

Mais comme elle n’était pas consentante,

Elle le gifla fortement.

Alors, il se mit à lui causer gentillement.

 

Mais bientôt il se rapprocha,

La saisit et chercha

À la caresser davantage.

Elle le frappa

Si fort au visage

Qu’il saigna.

Elle, confuse en apparence,

Le questionna :

-T’as mal, Nicolas?

-Y a pas d’offense !

Ce n’est rien,

Cré coquin, viens !

 

Il la regardait avec admiration

Car il lui portait une réelle affection,

Un commencement d’amour vrai.

Il lui prit la taille comme ferait

Un promis après un bon repas :

-C’est pas bien, Nicolas

De me mépriser comme ça.

Il protesta :

-Je ne te méprise pas.

Je suis amoureux, voilà tout.

-Alors, tu me veux en mariage ?

Dit-elle d’un coup.

Il hésita, regarda son corsage.

Des gouttes de sueur perlaient

Sur sa large poitrine à peine dissimulée

Sous l’indienne du caraco

Il se sentit tout de go

Repris d’envie.

Collé à son oreille, il lui dit :

-Oui, j’veux ben être ton époux.

Elle lui jeta ses bras au cou

Et l’étreignit si longuement

Qu’ils en perdaient haleine, les deux amants !

 

L’éternelle histoire d’amour

Commença de ce jour.

Ils se lutinaient,

Se donnaient.

 

Mais peu à peu, Nicolas s’ennuya d’elle.

Il évitait même de croiser la belle.

Alors Rose éprouva une frustration

Puis une immense déception.

 

Enfin, ce que les filles redoutent

En pareil cas,

Elle constata

Qu’elle était grosse, sans aucun doute.

 

Alors une nuit,

Sans bruit,

Elle pénétra dans la chambre de son ami.

Nicolas fit semblant de dormir

En l’entendant venir.

Près de lui, elle se hissa,

Le secoua jusqu’à ce qu’il se dressât.

Quand il fut debout

-Que veux-tu, dis-moi tout ?

-Je veux que tu me marries

Puisque tu me l’as promis.

Il répondit avec fatuité :

-Ah bien ! si on épousait

Toutes les filles avec qui on a fauté…

La gaillarde le renversait,

L’étranglait et hurlait :

-Je suis grosse,

Entends-tu ? je suis grosse.

Nicolas haletant, balbutiait :

-Eh ! puisque c’est ça, je vais t’épouser.

Mais elle, ne crut pas ce chenapan:

-Fais publier les bans.

Jure-le sur le Bon Dieu.

Quelques secondes il hésita :

-Je le jure sur le Bon Dieu.

Alors, sans un mot, elle le quitta.

 

Quelques jours après,

Elle vit arriver un autre valet.

Perspicace,

Elle lui demanda :

Il est parti, Nicolas ?

-Oui, je le remplace.

Alors commença pour elle

Une vie de torture continuelle.

Elle se mit à travailler comme une bête

Avec une seule idée fixe en tête :

Si quelqu’un s’en doutait ?

Inquiète, chaque soir elle tâtait

Son ventre. Le jour, elle cessait son ouvrage

Cinq, six fois ou davantage

Pour examiner,

S’il ne soulevait pas trop son tablier.

 

Les mois passaient.

L’enfant naissait.

Rose le porta chez sa maman

En cachette de maître Jamant.

 

Elle travaillait avec un tel acharnement

Que Jamant ne pouvait plus se passer d’elle.

Il lui confia la direction du personnel.

La métairie prospéra prodigieusement.

À deux lieues à la ronde, on en parlait.

Maître Jamant lui-même ressassait

A qui mieux-mieux :

-Cette fille-là, ça vaut mieux

Que toutes les fortunes du monde !

Un jour, il lui dit : -Prends une chaise.

Mal à l’aise,

Il s’approcha d’elle :

-Tu es une fille active, économe, belle.

Tu n’as jamais songé à t’établir ?

Rose se mit à pâlir.

-Vois-tu, une ferme sans maîtresse,

Ça fait pas florès,

Même avec une servante.

Rose était toute tremblante.

-Hé bien ! ça te va-t-il ? Cause !

-Quoi not’ maître ? Demanda Rose.

-Mais de m’épouser, pardine !

-Je ne peux pas. Avoua t’elle, chagrine.

-Pourquoi ça ? Allons, ne fait pas la bête.

La servante en perdait la tête.

-C’est une affaire entendue, n’est-ce pas ?

-Non, not’ maître, je n’ peux pas.

-Tu ne peux pas, la fille, et pourquoi ça ?

D’un autre, tu serais amoureuse ?

-Peut-être bien que c’est ça.

-Ah ! tu l’avoues donc, gueuse !

-Et qui c’est ce merle-là ?

Qui c’est ce gars ?

-C’est Jean Rauduy.

-Oh non ! pas lui.

-Alors c’est Pierre Banon?

-Oh ! not’ maître, non !

Jamant énumérait tous les garçons

Des environs

-Eh ! c’est Nicolas,

Le valet qu’était là

L’autre année.

On avait parlé de votre futur hyménée.

-Non, ce n’est pas lui,

Ce n’est pas lui !

J’vous l’jure, j’vous l’jure.

-Pourtant, il te suivait dans les coins obscurs.

Aux repas, il te mangeait des yeux.

Lui as-tu promis le mariage, vingt dieux ?

-Non. S’il venait me demander aujourd’hui,

Je ne voudrais pas de lui.

Je n’peux pas ; c’est tout, not’ maître.

 

Le soir, elle se coucha avec son mal-être.

Vers le milieu de la nuit,

Deux mains palpèrent son lit.

Elle sursauta de frayeur

Mais elle reconnut la voix de Jamant.

-C’est moi, maître Jamant

Rose, n’aies pas peur.

Je viens te causer.

Le fermier essaya de se glisser

Sous les draps, devint brutal

Grisé par un désir bestial.

Elle tournait la tête pour éviter les caresses.

Avec ivresse,

La bouche du fermier poursuivait la sienne.

Il avait des gestes obscènes.

Par un mouvement brusque, il la découvrit.

Alors elle sentit

Qu’elle ne pouvait changer son destin.

Elle se cacha la figure dans les mains

Et cessa enfin de résister.

Toute la nuit, près de Rose Jamant est resté.

Il revint le soir suivant,

Puis tous les jours, parbleu !

Ils vécurent ensemble heureux.

-J’ai fait publier les bans.

Nous nous marierons le mois prochain,

Lui dit-il un matin.

Elle ne répondit pas.

Il l’épousa.

Mais sans cesse elle pensait à son petit.

 

Bientôt l’humeur du fermier s’assombrit.

Un jour, il se mit à crier, jurant :

-J’ai pas d’éfants,

Nom de Dieu !

Quand on prend une femme, morbleu,

C’n’est point pour rester seuls, mâtin,

Tous les deux seuls jusqu’à la fin.

Quand une vache n’a point d’viaux,

C’est que c’te bestiau

Ne vaut rin.

Quand une femme n’a pas d’gamin

C’est tout comme. Rose sanglota :

-C’est pas ma faute !

Ce n’est point d’ma faute !

Adouci, le fermier ajouta :

-Tout de même, c’est contrariant.

 

De ce jour, Rose ne pensait

Qu’à faire un autre enfant.

Mais ce fut en vain.

Aucune descendance ne vint.

De chagrin, elle dépérissait.

Lui, l’insultait et la brutalisait.

Alors, un jour, elle lâcha :

-J’en ai un, d’éfant, …avec Nicolas.

Jamant restait les bras ballants

Et dit en bredouillant :

-Qu’est-ce que tu dis ?

Qu’est-ce que tu dis ?

-J’pouvais pas t’le confesser,

Tu m’aurais chassée.

Le fermier répétait :

-T’as un éfant ?

T’as un éfant ?

C’est donc ma faute si j’ t’en ai pas fait ?

Quel âge il a ton éfant ?

-V’là qu’il va avoir six ans.

-Pourquoi tu me l’as pas dit plutôt ?

Le fermier se prit à réfléchir

Et partit enfin d’un bon gros rire :

-Eh, la mé ! on ira le chercher tantôt !


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