« Tous ces grands hommes qui t’ont condamnée, ces docteurs et ces savants,Malvenu, Jean Midi, Coupequesne et Toutmouillé,Ils croient dur au Diable, mais ils ne veulent pas croire à Dieu,Le Diable, c’est une réalité : les Anges, c’est une bêtise,Le Diable que tu détestais, il t’a aidée : les Anges que tu invoquais, ils n’ont rien fait,Et criminelle des deux côtés ils te condamnent de l’une et l’autre main.Telle est la sagesse de la Sorbonne.Tels sont ces illustres docteurs qui donnent des nazardes au Pape. »
Jeanne d’Arc au bûcher scène VI – Paul Claudel
Comme convenu, le roi de France et d’Angleterre, Henri VI (il a neuf ans) prête Jeanne à l’autorité ecclésiastique. L’inculpée sera amenée à cette autorité autant de fois qu’il lui semblera bon, toutefois l’intention des Anglais est de la récupérer s’il arrivait qu’elle ne fut pas jugée coupable des accusations portées contre elle ( lettre de Bedford du 3 janvier 1431).Méfiant, Bedford redoute un coup tordu des hommes d’Eglises. Les théologiens de Paris, il peut compter sur eux. Cauchon est son homme, bien qu’il se montre moins ardent qu’il ne le souhaiterait. Les ecclésiastiques de Rouen, aucun soucis. C’est du côté de Rome que l’Anglais éprouve quelques craintes. Pourquoi diable avoir mêlé l’inquisition à ce procès ? Parce qu’il le fallait bien. Parce que ce procès eût été sans valeur. La mise en jugement d’un hérétique relève toujours de l’inquisition. Les Anglais craignent une intervention auprès de Rome, de leur ennemi Charles VII. Car c’est de lui, dont il s’agit. Faire condamner Jeanne par l’Eglise, c’est condamner Charles en même temps. Détruire ce damné avantage du sacre de Reims. Une fois sa sorcière brûlée, Charles aura moins fière allure. Etre sacré roi grâce à l’aide d’une jeteuse de sorts, c’est très fâcheux. Forcément, pour éviter cela, il va agir. Charles va peser sur Rome. Les Anglais en sont persuadés. D’où la précaution de Bedford : si jamais, l’Eglise se dérobe et ne juge pas comme les Anglais le veulent, ils reprendront Jeanne. Craintes anglaises superflues. Rome, bien que tenu au courant, n’interviendra pas dans le procès et Charles ne se préoccupe plus de la malheureuse prisonnière.
Je veux « un beau procès » a déclaré Cauchon. Tout doit être conduit avec la plus parfaite rigueur et dans le respect de toutes les règles d’un vrai tribunal d’inquisition. Procès qui ne doit avoir d’autre soucis que la manifestation de la vérité. Une justice inattaquable en somme.Deux menus ennuis cependant, deux toute petites entorses à la loi. Tout accusé qui se retrouve devant un tribunal d’Eglise doit être détenu dans une prison ecclésiastique. Or Jeanne se trouve dans une geôle anglaise sous la surveillance de soudards et non de religieux, première entorse. La seconde, ce procès d’Eglise, qui en assume les frais ? Qui paie les assesseurs, les délégués parisiens ? L’Eglise ? Non, les Anglais, encore.Tout est près. Les juges proprement dits sont deux : Cauchon, qui n’est pas le pire et Jean Lemaître, vicaire de l’inquisition à Rouen, l’œil de Rome. Celui-là on ne l’entendra guère. Il est en service commandé : il assiste et couvre, mais voudrait être ailleurs. Le 20 février, il avouera à Cauchon que le scrupule de sa conscience l’induit à ne pas désirer se mettre en la matière. Et puis, il y a les autres « les joyeux », les six représentants de l’Université de Paris. Deux vedettes parmi eux : Thomas de Courcelles, étoile montante de l’Université et Jean Beaupère, champion du cumul des bénéfices. Claudel parlera de ces clercs, acharnés sur la jeune captive « l’écume aux crocs » mordant à pleine gueule « dans cette chair innocente, avec un appétit de cannibales ».
« Les juges de Jeanne seront donc surtout des membres de l’Université de Paris… » ( Régine Pernoud)
A côté du muet Jean Lemaître, Cauchon discoureur, préside cette cohorte d’exécuteurs.
Le 9 janvier 1431, le procès commence. Pour l’enquête, ils ont envoyé des moines qui sont allés à Domremy. Les premiers moines qui y étaient allés étaient revenus en disant qu’elle était parfaite et le curé de ce village se portant garant d’elle. Maintenant on fait dire ce que l’on veut à ces moines. Ces moines vont raconter ce que l’on leur a dit de raconter.« oh, vous savez, nous sommes allés là-bas et nous avons de très mauvais renseignements sur elle, elle n’écoutait pas ses parents, elle a été élevée par des espèces de sorcières et surtout il y a eu cette histoire déplorable, vous savez, elle est allée dans un bordel, quand elle était avec ses parents à Neufchâteau et ce n’est pas sûr du tout qu’elle y était avec ses parents et cette maison de la Rousse était extrêmement suspecte. De reste, elle a rompu ses fiançailles, c’est pas elle qui a rompu, mais son fiancé qui a dit : cette fille s’est déshonorée… » Voilà ce que rapportent les moines qui sont allés à Domremy.
Jeanne ne peut croire qu’elle est exposée au plus grand péril. S’il s’agissait d’un tribunal anglais, elle n’aurait pas d’illusions. Les Anglais le lui ont dit eux-mêmes : ils veulent la brûler. Mais ceux qui la jugent sont des prêtres, membres de cette Eglise qu’elle vénère. Ils parlent sa langue. Il lui paraît inconcevable qu’ils en veuillent à sa vie.
La Pucelle est là, en habit de page, assise sur un tabouret, au centre du demi-cercle formé par ces hommes d’Eglise. Lesquels sont, selon les jours, vingt, souvent quarante, pour les grandes séances leur nombre ira jusqu’à soixante.
Malgré sa solitude et la pression exercée sur elle, Jeanne se sent forte, sûre d’elle-même, le ciel lui a parlé. Elle n’hésite pas à menacer tous ces théologiens. Ils, se mettent dans un bien mauvais cas. Qu’ils prennent garde ! Insolente, la jeune fille sourit, nargue, ironise. Bientôt, vont entrer dans l’Histoire tous ses mots célèbres, que l’on connaît trop bien :
Au greffier qui a mal noté : « la prochaine fois, je vous tirerai les oreilles »Sur l’état de grâce : « si j’y suis, Dieu veuille m’y garder ; si je n’y suis, Dieu veuille m’y mettre »A Beaupère qui l’interroge : « toutes les lumières ne viennent pas de vous, Monseigneur » etc… Jeanne, que l’on veut, à tout prix, perdre et à qui l’on tend piège sur piège, « élude, rompt, bat les buissons…biaise, ruse, détourne les questions, comprend de travers, répond à côté… » (Rudler)
Tout cela et bel et bien, mais le procès traîne et l’Université s’impatiente. La Pucelle a accumulé assez de diableries et de perversions. L’Eglise se doit d’agir et de punir. Le 14 mai, l’Université adresse au roi d’Angleterre cette adjuration :
« Nous supplions humblement à Votre Hautesse que cette matière soit menée à fin très diligemment et au plus tôt, car les retards sont très périlleux et une grande réparation est nécessaire… » Amen.
A présent, les événements vont se précipiter.
Jeanne qui croyait se défendre sur son action politique se rend maintenant compte de ce que veut le tribunal. Les reproches, les accusations dont on l’accable depuis le début, n’ont qu’un objet : prouver qu’elle est contre Dieu. Ces religieux s’attachent à lui démontrer qu’elle est une mauvaise chrétienne, qu’elle trahit le Ciel, qu’elle est une hérétique.
Qu’on puisse la prendre pour une ennemie de la Foi, pour une adversaire du Seigneur dont elle porte l’image sur son étendard, elle n’en revient pas.Jeanne comprend, à cet instant, le sens de toutes les questions qu’on lui a posées. Il ne s’agissait que de prouver qu’elle n’était pas catholique. Pas autre chose. Elle est « un membre pourri » qui risque d’infecter la société et qu’il faut jeter au plus tôt. La voilà, l’idée du tribunal
Or, Jeanne sait qu’elle est bonne chrétienne. Elle a toujours aimé prier, aimé se confesser. Où qu’elle fût, elle allait souvent à la messe. Depuis qu’elle est en prison, elle demande d’aller entendre l’Office Divin – refus absolu ! Sur le chemin du tribunal, elle passe devant une chapelle, elle supplie de la laisser entrer un instant pour s’agenouiller devant le crucifix - Refus encore ! C’est donc ça ! Ces hommes de Dieu la rejettent.
Alors, elle crie : « Si j’ai fait, sans le savoir, quelque chose contre la Foi, dites-le-moi et j’en demanderai pardon »
Tout ce qu’enseignent les prêtres, elle y croit. Leur Credo est son Credo. Elle le récite chaque jour avec le Pater et l’Ave. Ses apparitions ? Elles lui disent d’être une bonne chrétienne docile. Elle est soumise aux commandements de la sainte Eglise catholique et romaine.
Docile, soumise ? Pas pour ses juges. Depuis le début du procès, son comportement, leur donne les preuves (qu’ils attendent) de son indiscipline. Elle se met d’elle-même par son attitude hors de l’église. Ils ne font que constater, avec douleur (les hypocrites), qu’elle est rebelle, car elle n’écoute pas la voix de l’Eglise. Et qu’est-ce que l’église lui demande ? Elle l’exhorte de renier ses voix. Ce que Jeanne refuse.
Cauchon lui a dit : « Nous sommes le tribunal d’inquisition, nous représentons l’Eglise, laquelle ne peut ni errer ni faillir. Jeanne tu dis que tu as des rapports surnaturels avec des personnes que tu appelles Sainte-Marguerite, Sainte-Catherine et Saint-Michel. Non ! non ! Nous savons à qui tu as eu affaire, avec qui tu as parlé. Tu as parlé avec des démons et on les connaît. L’un s’appelle Belial, l’autre s’appelle Labon et le troisième s’appelle Behemot. Alors écoute bien Jeanne, tu vas répéter, tu vas dire après nous : J’ai parlé avec des démons, j’ai parlé avec Bélial, avec labon, et avec Behemot. Et si tu refuses de répondre, ça prouve que tu n’es pas catholique. Parce que, qu’est-ce que c’est d’être catholique, c’est quelqu’un qui reconnaît l’autorité de l’Eglise, qui se soumet à elle. Et c’est l’Eglise en notre personne qui t’oblige de dire ces mots-là. » .
Jeanne répond : « je ne peux pas faire ça, je ne peux pas puisque je sais très bien que ce sont des Anges qui m’ont parlé et qui m’ont dit : sois une bonne petite fille, sois bien chaste, sois bien pure, sois bien respectueuse, ce n’est pas ce que m’auraient dit les démons »
« Jeanne tais-toi ! si tu ne répètes pas après nous : - J’ai parlé avec des démons, tu es hors de l’Eglise ».
Jeanne est absolument affolée, elle a compris le danger. Et elle crie : « J’en appelle au Pape ». Les théologiens sourient.
Le Pape, c’est ce martin V qui n’était même pas prêtre ( 48 heures y ont suffi) lorsqu’il a été élu Pape et qui est sur un Saint-Siège glissant. Il a tout le temps peur de se faire congédier. Il n’oublie pas tout ce qu’il doit aux théologiens de Paris pour son élection. Par ailleurs, il décédera pendant le procès de Jeanne. Son successeur Eugène IV sera parfaitement balancé en 1439 par un nouveau concile de Bâle et de toute manière, le pape ne se compromet jamais. De plus, Martin V tient Cauchon en grande estime. Il lui a déclaré par écrit :
« En raison de tes fidèles services et de tes autres vertus, tu Nous trouveras toujours favorable, à ton égard, et plein de bénignité. »
C’est Cauchon qui prend la parole : « Mais, dit-il, je suis l’évêque, je suis le représentant du Pape, quand tu parles à moi, Jeanne, tu parles au Pape. Alors, tu vas dire cela».
Jeanne est tellement bouleversée, elle a tellement peur d’être brûlée qu’elle va céder.
Le 24 mai 1431, au cimetière Saint-Ouen, on a organisé une mise en scène pour lui faire peur, très peur. Il y a un bûcher et le bourreau qui attend.
On dit à Jeanne : « Choisis : ou bien tu vas être brûlée ou bien tu vas dire que tu as parlé avec des démons ».
Et Jeanne dit : « Oui j’ai parlé avec des démons »
Après de longs mois d’une captivité sévère, de longs interrogatoires, abandonnée de tous, la malheureuse s’est effondrée. Ils l’ont eue à l’épouvante.
Soumission parfaite, oui, mais « Dieu premier servi » ajoute-t-elle.
Elle a sauvé sa tête. Cauchon a gagné. L’objectif est atteint : Charles VII est déshonoré. Mais, les Anglais sont furieux. Ils voulaient plus. Le peuple de Rouen aussi. Des pierres volent en direction des religieux. La foule est en colère, on lui avait promis une belle fête. Mais le spectacle est annulé. Elle avait pourtant, payé sa place, fort chère : 10.000 livres pour l’achat de celle qu’elle était venue voir se faire flamber. De la foule, Victor Hugo dira : « est-ce qu’elle n’a pas ri sur le passage de Jésus, devant le bûcher de Savonarole et de Bruno et de Jean Huss et de Jeanne d’Arc ? Est-ce qu’elle n’a pas craché sur la face fracassée de Robespierre ? »
Le surlendemain, le 27 mai, Jeanne demande à l’évêque Cauchon de venir la voir en Prison. Elle a remis ses habits d’hommes, parce qu’on lui avait dit s’habiller en homme, c’est un scandale. Deteronum XII dit que quiconque s’habille en homme est voué aux flammes de l’enfer. Ce n’était pas ce qu’on lui avait dit à Vaucouleurs : « c’est très bien, ça te protège » Alors Cauchon la voit habillée en homme, c’est une provocation. Jeanne lui déclare : « Monseigneur hier, j’ai dit, j’ai cédé parce que j’ai voulu sauver mon corps, mais en sauvant mon corps, je perdais mon âme, et je renie ce que j’ai fait et je dis que j’ai parlé avec Dieu, avec les envoyés de Dieu. »
- Donc, on va te brûler -
Alors on la brûlera.
Jeanne est désespérée, elle sait que le roi l’a abandonnée. Pendant le procès, elle a fait deux fois des allusions au livre de Poitiers. Elle disait devant ces ecclésiastiques de Rouen : « mais on m’a déjà interrogée, il y avait un représentant de l’inquisition. Demandez le livre de Poitiers. Demandez le compte-rendu de mes interrogations, vous verrez bien que je suis une bonne chrétienne. »
Ils ont fermé les yeux, ils se sont bouchés les oreilles. Des ecclésiastiques qui l’avaient défendue à Poitiers : personne. Elle est même abandonnée par Dieu, parce qu’il y avait ses voix et celles-ci se sont tues. Ses voix qui apparaissaient de temps en temps, dit-elle, pour lui dire : « Jeanne réjouis-toi le seigneur est avec toi jusqu’au bout ». Cela voulait dire qu’il sera avec elle quand on la brûlera.
On la brûle, comme on sait, le 30 mai 1431. Elle avait dix-neuf ans.