La vieille dame du riad, Fouad Laroui

Publié le 13 septembre 2011 par Kenza
José Tapiro Baro (1836-1913), Beauté de Tanger1876. 66 x 47 cm Aquarelle© Dahesh Museum of Art, New York, USA / The Bridgeman Art Library*****
Quatrième de couverture 
Sur un coup de tête, François et Cécile lâchent tout à Paris pour aller s'installer à Marrakech. Quel choc quand ils découvrent, dans une petite pièce au fond du riad qu'ils viennent d'acquérir, une vieille femme qui y semble installée de toute éternité. Ni l'agence immobilière ni les anciens propriétaires ne sont en mesure de leur expliquer ce qu'elle fait là. La femme est très vieille, paisible, parlant quelques mots d'un dialecte que personne ne comprend et ne paraît absolument pas disposée à quitter les lieux. Cette présence dérangeante plonge le jeune couple dans le plus profond des embarras. Pétris de valeurs humanistes, ils ne savent comment gérer cette situation. Pas question de jeter à la rue une personne aussi fragile. Aucune institution n'est prête à l'accueillir. Impossible de retrouver sa famille. Comment aménager cette cohabitation ? La faire travailler contre le gîte et le couvert ?... mais pour faire quoi ?... La considérer comme une amie de la famille ? Mais ils n'ont absolument rien en commun. Lui trouver une chambre en ville ? Impossible de la faire partir manu militari. Accomplir un acte charitable et l'accueillir comme une SDF ? Se soumettre et accepter cette étrange situation ? Mais cette présence, aussi discrète soit-elle, reste une intrusion insupportable et un viol de l'intimité de ce couple plein de bonnes intentions.
Avec cette fable drôle et touchante, Fouad Laroui s'interroge de façon faussement naïve sur les différences culturelles et leur difficile cohabitation. Professeur de littérature à l'université d'Amsterdam, romancier, poète, journaliste et critique littéraire, Fouad Laroui a publié, entre autres, aux Éditions Julliard : Les Dents du topographe, De quel amour blessé, Méfiez-vous des parachutistes, Tu n'as rien compris à Hassan II, Le Jour ou Malika ne s'est pas mariée (sélectionné pour le Goncourt de la nouvelle 2010), Une année chez les Français (sur la liste du prix Goncourt 2010) et, chez Robert Laffont, De l'islamisme, une réfutation personnelle du totalitarisme religieux. Editions Julliard
Extrait
Un jour, alors qu'il passait devant une petite échoppe, il en vit sortir une jeune fille enveloppée dans un haïk. Quelque chose en lui remua. Il entra dans la boutique et lia connaissance avec son propriétaire. L'ombre sous le haïk revint. Il s'avéra que c'était la fille du boutiquier, elle était nubile et ne disait mot, les yeux baissés. Fatmi revint plusieurs fois faire quelques emplettes, sans grande nécessité, chez le petit commerçant, qui n'était pas dupe. Les deux hommes prenaient le temps de parler du temps, des affaires de ce monde et de l'au-delà. Ils furent d'accord sur ce que le hadj ne pouvait décemment mener la vie d'un homme sans feu ni lieu. Il épousa donc la fille du petit commerçant - on se contenta de lire la fatiha, la première sourate du Coran, et tout fut dit. Il s'installa avec elle dans une petite maison.
Au bout de quelques mois, ayant dilapidé une bonne partie de son capital, le hadj s'aperçut que son aventure ne menait à rien. Agadir n'était pas l'endroit idéal pour installer un comptoir - bien que son nom signifiât quelque chose comme "entrepôt à grain" dans le dialecte local. Déçu par son entreprise, ayant décidé de rentrer définitivement à Marrakech, Fatmi se trouva confronté à un dilemme. Il pouvait, bien sûr, revenir avec sa jeune épouse berbère trottinant derrière lui. Après tout, comme les hommes d'ici le répètent souvent: "La chari'a nous en permet quatre!" Mais il ne voulait pas encourir les foudres de Lalla Ghita, qui était fille de grande famille et qu'il aimait beaucoup. Elle avait fermé les yeux sur ce mariage lointain, dont elle avait entendu la rumeur, mais il n'était pas question d'introduire une rivale sous son toit.
Que faire?
Il pouvait chasser la jeune femme, qui ne lui avait pas donné, et s'en aller. Mais Fatmi, qui avait bon coeur, répugnait à une mesure si radicale. Il alla donc voir son beau-père, et lui offrit une certaine somme d'argent s'il consentait à reprendre sa fille sous son toit. Tout serait fait selon les règles. Le petit commerçant savait bien, lui aussi, que le hadj Fatmi pouvait d'un seul mot répudier sa femme et prendre le large. Il comprit sans peine que son gendre lui faisait une proposition qu'il n'avait pas les moyens de refuser et que, d'une certaine façon, il était l'obligé de cet homme qui semblait solliciter une faveur. Ravalant sa fierté naturelle de Soussi, il leva les yeux au ciel et soupira:
- Ma cha' Allah!