Réorientation de l’épargne vers les bilans bancaires, accent mis sur la gestion privée, recours au refinancement par covered bonds… Les établissements français réfléchissent aux pistes pour devenir plus liquides et respecter les exigences du LCR et du
NSFR.
La crise financière et les normes prudentielles bancaires dites de Bâle III, qui visent à renforcer la solidité du système bancaire international, placent aujourd’hui la liquidité au cœur des préoccupations des banques. En effet, le respect des nouveaux ratios de liquidité impose une gestion de la liquidité à court et à long terme, Bâle III visant à garantir la capacité des établissements financiers à faire face à une crise de liquidité de 30 jours tout en exigeant que les emplois à long terme des banques soient adossés à des ressources longues. Les établissements financiers doivent ainsi identifier l’ensemble des options à leur disposition afin d’augmenter la part d’actifs liquides, susceptibles d’être vendus en cas de nécessité.
Les OPCVM monétaires et l’assurance en ligne de mire
Même si l’ensemble des composantes entrant dans le calcul des ratios ne sont pas encore figées, les grandes lignes directrices ont permis aux établissements financiers français d’établir des schémas directeurs afin de devenir plus liquides, et ceux-ci ont entrepris de nombreuses opérations en ce sens. Cependant, le système financier français présente un certain nombre de spécificités qui rendent ces opérations complexes, tels le recours substantiel au marché interbancaire, l’importance des fonds monétaires et surtout les faibles dépôts au profit des produits d’assurances vie et des OPCVM monétaires. Les établissements bancaires sont ainsi amenés à revoir leurs stratégies.
Le premier axe identifié par l’ensemble des acteurs porte sur l’activité de détail (retail). Une simple analyse du bilan des principaux acteurs de la banque-assurance en France montre qu’aujourd’hui les deux tiers des flux d’épargne sont concentrés sur les produits d’assurance vie et les OPCVM monétaires. Ainsi, les différents acteurs étudient actuellement un processus permettant l’intégration de l’assurance vie (pour tout ou partie) dans le bilan, en combinant par exemple ces produits à d’autres, plus liquides. Pour rappel, les produits d’assurance-vie étant investis en immobilier, obligations et autres actions, ils n’entrent pas dans le calcul des nouveaux ratios de liquidité. Concernant les OPCVM, certains acteurs ont déjà lancé des ateliers relatifs à la création de nouveaux OPCVM de trésorerie, légèrement plus longs que les OPCVM monétaires (SICAV ou FCP à durée courte) et investis notamment dans des titres comme des certificats de dépôts puttable pouvant être intégrés au sein des deux nouveaux ratios de liquidité.
Une quête des dépôts en marche
Un autre levier, plus visible, s’appuie sur des innovations marketing via la création de nouveaux produits, la mise en place de prime de fidélité ou la généralisation des comptes à vue rémunérés comme produit d’appel, notamment sur le segment des banques en ligne. Les nouveaux produits proposés rivalisent d’ingéniosité afin d’accélérer le processus de collecte et de renforcer sa stabilité dans le temps. Cette stratégie semble porter ses fruits puisque, par exemple, le nouveau Livret Épargne plus de la Société Générale, qui accorde une bonification au-delà de 6 mois, a permis de collecter 1 milliard d’euros. D’autres réflexions abordent la « rénovation » de produits existants comme les comptes à terme (CAT) ; elles proposent de s’appuyer sur une combinatoire « diversification / intensification » de l’offre et une augmentation des rémunérations accordées aux déposants. Le nouveau CAT Progressif de la BPRI[1] a ainsi permis de récolter 1 milliard d’euros en 1 an. La BPCE a quant à elle réorienté progressivement et partiellement sa politique commerciale vers l’épargne bilancielle et mise, entre autres, sur la création d’un nouveau produit dit « retraite bilancielle » qui s’appuiera sur un compte à vue générant des CAT à chaque fin de période. Pour rappel, la même stratégie avait été adoptée avec succès par l’ex CNCE lors de la banalisation du Livret A avec la création des « Livrets Grand Format » et « Livrets Grand Prix » qui avait pour objectif de retenir et fidéliser les clients ayant atteint le plafond du Livret A.
Les « super livrets » proposant des taux supérieurs au taux du Livret A (des offres allant jusqu’à 5% de rémunération sur trois mois sont présentes sur le marché) sont dorénavant monnaie courante ; ils visent à capter une épargne dormante ou disponible chez les concurrents. Le bilan de l’ensemble de ces manœuvres, incitant une collecte de masse et stable, est plutôt positif puisque la Banque de France a indiqué mi-mai 2011 que l’épargne placée sur les livrets non réglementés n’a cessé d’augmenter pour atteindre 165 milliards d’euros à fin mars 2011. Il est à noter que les établissements financiers demandent à l’Etat, pour l’instant sans succès, un abaissement du taux de centralisation des encours des livrets réglementés auprès de la CDC[2], car cela leur permettrait, entre autres, de revoir à la hausse leur liquidité disponible.
Parallèlement à l’industrie du retail, la banque privée dispose quant à elle d’axes de développement particulièrement prometteurs. En effet, l’excédent de liquidité dans l’activité de gestion de fortune est structurel à cette industrie. Des réorganisations sont actuellement en cours dans les principaux établissements en France et à l’international afin de coordonner les stratégies (réorganisation chez BNP Paribas Wealth Management, accélération des activités de gestion pour SG Private Banking, création d’un holding dédié à la gestion privée pour Crédit Agricole, etc.)
Les banques se sont également fixées comme objectif de capter la trésorerie des entreprises, notamment celles du CAC 40 : selon le quotidien Les Échos, ces dernières disposaient de 156 milliards d’euros de ressources immédiatement disponibles en 2010. Des CAT boostés, plus rémunérateurs que les produits à terme classiques, sont ainsi proposés aux trésoriers afin de capter cette manne financière. Par ailleurs, des produits structurés, combinant CAT, certificats de dépôts, EMTN et option de sortie visent à offrir aux grandes entreprises des produits offrant une grande souplesse tout en atténuant la volatilité de ces dépôts dans le bilan des banques.
Des marges de manœuvre sur l’offre de crédit
Cette quête des dépôts, et plus largement l’allongement du passif, aura indéniablement un coût pour les banques qu’elles répercuteront en augmentant le coût du crédit. En effet, afin de détenir des ressources de même durée que leurs crédits les établissements financiers évoquent à demi-mots une revue de l’actuel « modèle de transformation ». La transformation financière correspond actuellement à l’utilisation de ressources à court terme afin de financer à long terme des investissements (crédits, obligations) tout en permettant de baisser le coût des financements longs, les taux d’intérêt à court terme étant généralement plus faibles que les taux à long terme. Elle permet aussi d’en accroître le volume car l’offre d’épargne longue est limitée. Un raccourcissement de la maturité des prêts accordés n’est donc pas à exclure.
Une diversification des modes de refinancement
Outre les dépôts, certains établissements de crédit refinancent leur activité via l’émission d’obligations sécurisées de type covered bonds. Ces mécanismes, qui s’apparentent à une titrisation des créances à l’habitat, permettent un accès à la liquidité à des conditions privilégiées. Ils sont par ailleurs particulièrement demandés : la qualité du sous-jacent et le contrôle opéré par le régulateur (via le contrôleur spécifique) offrent une garantie aux investisseurs. Après un déclin durant la crise, le montant annuel des émissions a crû de 25 % entre 2008 à 2011, passant de 206 milliards à 253 milliards d’euros. Le nouveau cadre réglementaire Bâle III contribuera au développement de ce marché : la détention à l’actif de covered bonds non auto émis impacte en effet positivement le LCR.
Certaines institutions financières ont récemment émis des titres hybrides : les contingent convertible bonds ou CoCos. Ces obligations ont pour particularité d’être automatiquement converties en capital si le ratio de Tier1 devient trop faible. En février dernier, Crédit Suisse a testé l’appétence des investisseurs lors d’une émission qui a été largement souscrite ; auparavant, Lloyds et Rabobank avaient ouvert la voie. Quoiqu’hésitants, les établissements financiers considèrent avec intérêt ce type de produits qui permettent d’alléger la charge de la dette en cas de difficulté : les derniers CoCos émis par Rabobank prévoient que si le ratio Tier1 descend en-deçà de 7%, les détenteurs de titres soient remboursés à hauteur de 25 % de la valeur nominale.
La majorité des établissements financiers ont anticipé la mise en place des deux reportings réglementaires à transmettre au régulateur, à partir de 2015 pour le LCR (liquidité court terme) et de 2018 pour le NSFR (liquidité structurelle). Cependant, les orientations actuelles soulèvent un certain nombre de questions et de problématiques comme le durcissement de la politique d’octroi qui risquerait d’avoir un impact sur l’affectation de la distribution du crédit et la répercussion de la hausse du coût de la liquidité aux clients finaux.
Article Revue Banque de juin 2011[1]Banque Populaire des Rives de Paris.
[2]Actuellement, le taux de centralisation est en moyenne de 63% sur le livret A (178 milliards d’euros auxquels s’ajoutent 22 milliards d’euros sur le livret bleu), le Livret Développement Durable (69 milliards d’euros) et le Livret Epargne Populaire (53 milliards d’euros).
Tags :