Légalisation de l’euthanasie active, le débat est relancé

Publié le 13 septembre 2011 par Cahier

12 août 2011 à Bayonne, le Docteur Bonnemaison est mis en examen soupçonné d’avoir abrégé la vie de plusieurs de ses patients âgés. Il est accusé « d’empoisonnement sur personnes particulièrement vulnérables » et encourt la réclusion criminelle à perpétuité. L’émoi que suscite cette nouvelle affaire au sein du grand public est fort comme souvent dans ces situations (manifestations, pétitions, …). Pro et anti euthanasie s’opposent, le corps médical se divise, les politiques s’en mêlent et voilà le débat sur la fin de vie relancé, avec en ligne de mire l’échéance présidentielle de 2012.

L’euthanasie : un terme unique pour des réalités multiples

Le terme « euthanasie » recouvre des réalités bien distinctes. Etymologiquement, il vient du grec « eu » (bonne) et « thanatos » (mort) et signifie l’art de donner une bonne mort, une mort sans souffrance. Rarement utilisé seul, le terme d’euthanasie est souvent associé à différents adjectifs qualifiant l’acte. On parle ainsi :

- d’euthanasie active (qui désigne un acte volontaire comme l’administration de produits accélérant le décès du patient);
- d’euthanasie passive (plutôt définie comme l’arrêt des traitements de réanimation, ou celui du traitement de la maladie fatale, à partir du moment où l’on est convaincu que le cas est désespéré);
- d’euthanasie volontaire (lorsque le patient a toutes ses facultés mentales et physiques de demander de l’aide pour mourir et qu’il le demande effectivement);
- d’euthanasie non volontaire (qui s’applique dans le cas où le malade n’a plus les capacités mentales et/ou physiques d’indiquer sa volonté).

Cette multiplicité des termes met en exergue toute la complexité des situations qui peuvent se présenter en fin de vie et permet d’appréhender les aspects légaux qui encadrent cette pratique.

Les Français pour une modification de la loi

Pour le corps médical la position officielle est claire. Selon l’article 38 du code de déontologie médical français il est interdit au médecin de provoquer délibérément la mort du malade. « Le médecin doit accompagner le mourant jusqu’à ses derniers moments, assurer par des soins et mesures appropriés la qualité d’une vie qui prend fin, sauvegarder la vie du malade et réconforter son entourage. Il n’a pas le droit de provoquer délibérément la mort« .

Pour le droit Français, la loi relative aux droits des malades et à la fin de vie, votée en avril 2005, dite loi Léonetti, permet d’arrêter un traitement ou de refuser un acharnement thérapeutique (l’obstination déraisonnable dans la dispense de soins). Elle a ainsi instauré un droit au « laisser mourir« , qui favorise les soins palliatifs pour soulager les douleurs des malades en fin de vie, mais elle ne couvre pas l’aide à mourir ou euthanasie « active ».

Cette loi qui semble peu connue du grand public (seuls 32% des Français interrogés par Opinionway en janvier dernier savent qu’il existe une loi qui interdit toute forme d’acharnement thérapeutique) se confronte à une position assez ferme de l’opinion. La majorité des Français souhaiterait une loi autorisant les médecins à mettre fin, sans souffrance, à la vie des personnes atteintes de maladies insupportables et incurables (94%, dont 49% qui déclarent qu’il le faut absolument). Au regard des dernières affaires traitées par la Justice et des sanctions plutôt clémentes qui sont tombées, la position de l’opinion peut se comprendre.

Un principe d’euthanasie active qui semble approuvé par l’opinion depuis longtemps

Dans les différents sondages publiés sur cette question, les questions posées sont souvent proches les unes des autres et tous mettent en évidence l’adhésion massive des Français à l’euthanasie active dans le cas de patients gravement touchés souffrant de maladies incurables.

En 1987 déjà (puis en 1997 et en 2001), TNS Sofres posait la question suivante : « en cas de maladie grave et incurable, s’accompagnant d’une souffrance jugée insupportable par le malade, seriez-vous favorable ou opposé à ce que lui soit reconnu le droit d’être aidé à mourir à sa demande ? ». Sur cet intervalle de treize ans, l’adhésion était forte et stable (85% en novembre 1987, 84% en octobre 1997 et 86% en 2001).

Depuis, cette tendance n’a cessé d’être confirmée. En 2003, BVA posait la question suivante : « A propos des malades atteints de maladies douloureuses et irréversibles, nous avons recueilli les deux opinions suivantes. Avec laquelle des deux êtes-vous le plus d’accord ? » 86% se prononçaient en faveur de l’idée selon laquelle « il faut leur laisser la liberté de mourir quand ils le désirent » contre 11% qui optaient pour « la vie est quelque chose de sacrée, la médecine à le devoir de maintenir le malade en vie » (37% chez les catholiques pratiquants réguliers). En 2009, le même institut intégrait dans son questionnement l’idée de transgression de la loi. Là encore, les Français sont pour : 75% sont favorables à ce que « des euthanasies soient pratiquées lorsque des personnes atteintes d’une maladie incurable en phase terminale le réclame, même si elles ne sont pas autorisées par la loi » (une proportion qui baisse à 45% chez les catholiques pratiquants réguliers contre 81% chez les personnes se déclarant sans religion).

Lorsqu’il s’agit de se projeter soi-même dans une situation de maladies graves, l’adhésion au principe de l’euthanasie est également très forte. Ainsi, 83% des Français interrogés en août dernier déclaraient que s’ils se trouvaient concernés par une maladie incurable entrainant des souffrances feraient la démarche de demander au corps médical de pratiquer sur eux une euthanasie active. Parmi eux, 41% le demanderait « certainement » et 42% « probablement ».

Quelques réserves toutefois à cette adhésion

Bien qu’il ne s’agisse là que de quelques exemples de sondages publiés sur la question, on peut difficilement contester cette franche adhésion de l’opinion pour l’euthanasie active.

Toutefois, on peut émettre quelques réserves sur ce consensus et regretter l’absence de mise en concurrence avec d’autres alternatives possibles et existantes dans l’aide à mourir tels que les soins palliatifs par exemple. Ainsi, en janvier dernier Opinionway publiait une étude à contre-courant. Invités à désigner les priorités en matière de fin de vie, 60% des Français répondent qu’il faut voter des crédits pour développer des soins palliatifs de qualité et «seulement» 38% qui se prononcent en faveur de la légalisation de l’euthanasie.

En outre, il convient de noter que cette perception de l’euthanasie, n’est pas homogène au sein de l’opinion. L’un des critères les plus clivants est sans conteste celui de l’appartenance religieuse. Les catholiques pratiquants réguliers sont les plus proches de la position de l’Eglise qui encourage les soins palliatifs qui évitent l’acharnement thérapeutique. Ces franges de la population se distinguent systématiquement de la moyenne des Français dans des proportions importantes.

Enfin on précisera que cette adhésion massive au principe d’euthanasie active s’accompagne pour bon nombre d’entre eux de mises en garde et de règles à respecter. Ainsi, 52% des Français ont conscience que la légalisation de l’euthanasie comporte des risques de dérives (dont 42% « oui, plutôt ») et d’autre part, une majorité des Français se prononce en faveur d’une pratique encadrée et d’une décision concertée. Dans un récent sondage d’Harris Interactive, la quasi-unanimité des personnes favorables à cette légalisation soutient l’idée d’une décision collégiale prise entre les proches du patient et le corps médical (92% pour dont 60% « tout à fait favorables ») au détriment d’une décision exclusive de l’une des deux parties en présence (67% pour les proches exclusivement et 59% un collège de médecins) réduisant ainsi les risques « d’euthanasies abusives ».

Un sujet pour 2012 ?

A l’approche de l’échéance présidentielle, les principaux acteurs du secteur, pro ou anti euthanasie, à l’image d’organismes tels que l’Association pour le Droit à Mourir dans la Dignité (l’ADMD) ou l’Alliance pour les droits de la Vie (l’ADV) comptent bien profiter de cette période pré-électorale pour faire avancer le débat et modifier la loi dans un sens ou dans l’autre. Sur ce point, Jean Léonetti, à l’origine de la loi de 2005 partage cette volonté et souhaite lui aussi qu’un grand débat national sur cette question difficile et sensible soit organisé, mais après l’échéance électorale de 2012. S’il semble indéniable que le sujet est complexe et de première importance, on peut s’interroger sur la place qui sera réellement accordée à cette question dans les prochains moins compte tenu des enjeux économiques et sociaux qui prédominent… à moins peut-être d’une décision de justice qui ne fasse date dans l’affaire du médecin de Bayonne.