Je ne vais pas bouder mon plaisir. Juste le cerner ! Le chamois photographié en couverture de la jaquette de la version française du dernier livre traduit de Erri De Luca chez Gallimard nous entraîne dans la montagne qu’il aime tant (Il peso della farfalla).
Depuis la « Journée avant le bonheur », j’ai lu Montededio, prix Fémina étranger de 2002. Naples, toujours et encore, dans les amours enfantines devenues grandes et sensuelles et dans l’envol de l’ange juif.
De Lucca a certainement besoin d’ailes et d’envol. C’est du moins ce qu’il ressent lorsque ses mains s’agrippent à un tout petit surplomb de rocher. C’est ce que ressent le roi des chasseurs et le roi des chamois, frères d’arme, ennemis de sang, amoureux des odeurs qui montent s ans aucune entrave dans l’air des sommets. Solitaires, aussi, au milieu des troupeaux qu’ils dominent par leur étrangeté de chef ou de vieillard.
De Lucca aime la domination naturelle, mais pas les chefs. La domination farouche ; celle qui peut s’exiler, mais ne cède pas aux modes, ni aux accents de la mode. Il est tranquille, en équilibre, même au bord du gouffre.
De Lucca, pris de l’effroi d’un pays qu’il aime tant, mais qui sombre, s’invente des doubles. « Ce matin de novembre, il se réveilla fatigué. Depuis bien des années, il dominait son territoire et nul ne l’avait jamais défié. Ses fils avaient grandi en compagnie de leurs mères et ne connaissaient pas son âpreté. Avec lui, les duels n’existaient pas. Une fois grands, les mâles s’exilaient en quête d’autres troupeaux. » Voici pour l’animal. Et pour l’humain : « L’homme avait déjà un certain âge, une grande partie de sa vie à monter braconner en montagne. Il s’était retiré pour faire ce métier après une jeunesse passée dans la ville avec les révolutionnaires, jusqu’à la débandade. Pendant une période du siècle dernier, la jeunesse s’était donné une loi différente de celle qui existait. Elle avait cessé d’apprendre des adultes, aboli la patience. »
Ainsi de l’homme et de l’animal. Ainsi de ceux que l’âge commence à jeter dans le doute.
A la fin de la journée, le poids du papillon peut devenir insupportable.