Le trading algorithmique est devenu, en une dizaine d'années, un moteur important des marchés financiers, représentant déjà 30 à 50% des volumes échangés en Europe et peut-être jusqu'à 3/4 aux Etats-Unis. Le gouvernement britannique, via le projet Foresight, a commandité une étude auprès d'experts internationaux pour étudier les effets connus et prévisibles ainsi que les évolutions futures de cette tendance.
Le document de travail [PDF] issu de ces réflexions présente en 50 pages les risques induits par l'automatisation dans le fonctionnement des marchés, les bénéfices qu'elle peut apporter et, enfin, les perspectives de développement des technologies associées pour les années à venir. Ce sont sur ces dernières que je vais m'attarder ici, ce qui ne doit pas vous empêcher de lire les deux premières parties, qui me semblent tout aussi intéressantes pour qui s'intéresse à la finance.
De tout temps et comme dans de nombreux domaines économiques, la technologie a été employée pour remplacer, avec toujours plus d'efficacité, les tâches humaines. Aujourd'hui, le trading algorithmique prend ainsi la place des traders pour des opérations relativement simples et le trading haute fréquence (HFT) réalise des tâches qu'un humain ne serait pas capable d'accomplir (analyser des quantités gigantesques d'informations et prendre des décisions en quelques fractions de seconde).
Comme les robots qui ont envahi certains secteurs d'industrie (par exemple automobile) dans les années 70-80, les traders seront peut-être tous remplacés progressivement par des ordinateurs toujours plus "intelligents".
Tout d'abord, les machines continuent à gagner en puissance, qu'il s'agisse de processeur "classiques", semblables à ceux qui équipent nos PCs de bureau, ou de puces spécialisées telles que les circuits FPGA. Ces derniers, actuellement encore peu accessibles aux développeurs du fait de leur langage de programmation complexe, devraient rapidement devenir plus abordables, en permettant l'utilisation de langages de haut niveau. La course à la vitesse d'exécution et à la conception d'algorithmes de plus en plus élaborés a donc encore quelques belles années devant elle.
Autre tendance cruciale, les logiciels qu'utilisent ces robots ne se contentent plus d'absorber et analyser des données numériques (les cours de valeurs, notamment), ils sont aussi désormais capables d'interpréter des informations textuelles, comme les titres des quotidiens ou les dépêches d'agence (ou encore le "sentiment" du public). Les stratégies qu'il est possible d'implémenter à partir de tels paramètres s'en trouvent enrichies d'autant. Bien sûr, les solutions actuelles sont encore imparfaites dans la qualité de leur analyse (ce qui rend risquée leur utilisation pour exécuter des ordres de marché) mais les progrès sont rapides.
De plus, la recherche académique, déjà bien avancée, sur les algorithmes générés par ordinateur ou "auto-adaptatifs" pourrait progressivement être introduite dans la panoplie des banques et autres acteurs de marchés. L'homme n'aura alors presque plus aucun rôle à jouer...
Plus surprenant, le développement du cloud computing devrait aussi avoir un impact sur le trading algorithmique. Il est peu probable qu'il soit largement adopté pour l'exécution de transactions, surtout dans le domaine du HFT, mais la possibilité de disposer de vastes ressources de calculs à moindre coût pour des périodes courtes, permettra aux spécialistes de multiplier les études de stratégies variées et d'optimiser ainsi leurs algorithmes.
Une conséquence de cette explosion technologique est que les marchés peuvent être localisés partout dans le monde, sans requérir les investissements colossaux qui ont donné naissance aux grandes places financières européennes ou américaines. Les pays émergents (Brésil, Russie, Inde, Chine...) pourraient profiter de cette opportunité pour introduire une concurrence nouvelle dans le secteur.
Parmi les inquiétudes que peuvent soulever ces robots traders, il faudra retenir les problématiques de sécurité (les organisations criminelles vont inévitablement s'intéresser au sujet) ainsi que la méconnaissance quasi-totale des modèles qui régissent, et régiront encore pendant quelque temps, les interactions entre humains et machines sur les marchés. Et, même si les traders finissent par disparaître entièrement (ce qui est tout de même improbable), les interactions entre automates restent aussi mal maîtrisées et difficile à "comprendre", surtout lorsque leurs comportements seront eux-mêmes générés par ordinateur.
Pour les auteurs de l'étude, ces développements sont inéluctables et leur seule recommandation aux institutions de "contrôle" (gouvernements et autorités de marchés) est de bien prendre la mesure du phénomène et d'adapter leur politique en conséquence. Mais il est clair que de nombreuses questions restent en suspens...