Le vin est socialisé parce qu'il fonde non seulement une morale, mais aussi un décor ; il orne les cérémoniaux les plus menus de la vie quotidienne française, du casse-croûte (le gros rouge, le camembert) au festin, de la conversation de bistrot au discours de banquet. II exalte les climats, quels qu'ils soient, s'associe dans le froid à tous les mythes du réchauffement, et dans la canicule à toutes les images de l’ombre, du frais et du piquant.
( granité de pêche et raisin muscat et Domaine de L'A 2007)
Pas une situation de contrainte physique (température, faim, ennui, servitude, dépaysement) qui ne donne à rêver le vin.
Combiné comme substance de base à d'autres figures alimentaires, il peut couvrir tous les espaces et tous les temps du Français. Dès qu'on atteint un certain détail de la quotidienneté, l'absence de vin choque comme un exotisme : M. Coty, au début de son septennat, s'étant laissé photographier devant une table intime où la bouteille Dumesnil semblait remplacer par extraordinaire le litron de rouge, la nation entière entra en émoi ; c'était aussi intolérable qu'un roi célibataire.
Le vin fait ici partie de la raison d'État.
In Mythologies, Roland Barthes, éditions du Seuil, Paris, 1957.