Quand une croupière s’en va-t-en guerre; histoire d’Éléonore Mainguy
Entrevue réalisé pour Reflet de Société
Dossier gambling et jeu compulsif, Loto-Québec
Loto-Québec a retiré le contrôle du jeu des mains du crime organisé. Pourtant, la descente aux enfers des joueurs compulsifs s’aggrave. L’ex-croupière Éléonore Mainguy lève le voile sur les stratégies douteuses de Loto-Québec.
Historiquement, le gouvernement a créé Loto-Québec pour supprimer la mainmise des groupes criminalisés sur les jeux de hasard. Le gouvernement de l’époque réagissait à la loterie du maire de Montréal, Jean Drapeau, qui commençait à faire de l’argent pour financer Terre des hommes (Expo 1967) et le métro. Il y avait de l’argent à faire, pas question de laisser les municipalités en prendre le contrôle. Mais notre société amorçait un dérapage qui nous fera perdre la maîtrise de la gestion du jeu. Même si peu de machines ont été saisies, on évalue que les groupes criminalisés avaient placé un maximum de 25 000 machines de jeu au Québec, Serge Chevalier, sociologue à la Direction de santé publique de Montréal. Loto-Québec les a remplacées par 14 000 appareils de loterie-vidéo dans les bars et 6 000 machines à sous dans les casinos. Mais gare aux apparences: Loto-Québec a augmenté l’accessibilité et le rendement du jeu.
Lorsque les machines sont devenues légales et disponibles partout, plusieurs catégories de personnes sont devenues des joueurs compulsifs alors qu’elles ne l’auraient jamais été avec les machines du crime. Selon des sources qui ont requis l’anonymat, les revenus d’une machine illégale tournaient autour de 40 000$ par année. Selon le rapport annuel 2004 de Loto-Québec, les appareils de loterie vidéo rapportent en moyenne 78 979$ chacune. Le double du crime organisé!
Loto-Québec a créé un département de marketing pour nous vendre l’illusion et le rêve. Publicité, promotion du jeu, techniques de fidélisation des joueurs, contrôle de l’environnement pour garder le joueur le plus longtemps possible, voyages organisés pour les groupes, spectacles, pressions sur les détaillants pour qu’ils atteignent des quotas de vente de loteries (s’ils veulent, par exemple, une machine pour valider les billets de certains tirages), accessibilité démesurée du jeu partout où l’on va… Tout est mis en œuvre pour répondre à la gourmandise du ministère des Finances.
Nous ne sommes plus à vouloir tasser les groupes criminalisés. Nous sommes à vouloir gagner le plus grand bénéfice possible. Loto-Québec, une société d’État, est devenue une grosse machine qui s’emballe et dont nous avons perdu les rênes. Cela fait contraste avec le crime organisé. Avez-vous déjà vu une pub de criminels pour attirer les joueurs? Loto-Québec ne s’en gêne pas…
Des chercheurs nous montrent des chiffres qui devraient nous alarmer. Des joueurs partagent leur calvaire dans les méandres des jeux gérés par Loto-Québec. De nouveaux témoins se lèvent et révèlent un côté obscur de Loto-Québec. Des gens entraînés pour détrousser des joueurs craquent et témoignent. Des employés de cette «vénérable» institution dénoncent leur employeur. Éléonore Mainguy a été croupière pendant près de quatre années au Casino de Charlevoix. Elle partage avec nous la sombre réalité des casinos mis en place par notre gouvernement. «J’ai été entraînée à identifier les besoins du joueur pour le mettre en confiance, lui donner l’illusion qu’il contrôle le jeu. A-t-il besoin que je lui parle? Que je passe les cartes plus lentement? Quand je change l’argent, est-ce qu’il a besoin de petites coupures pour jouer plus longtemps ou de grosses pour s’emballer?… », relate Éléonore Mainguy.
«Il y avait un lexique de mots que nous ne pouvions pas utiliser: “je vous reviendrai plus tard — je ne peux pas — je ne sais pas…”. Tout devait être fait instantanément pour satisfaire le joueur. C’était une prise en charge complète de ses besoins», explique la jeune femme de 25 ans.
Complice du joueur
Mme Mainguy travaillait à Charlevoix, une petite communauté où tout le monde se connaît et se parle. «J’ai eu à participer aux menteries que les joueurs contaient à leur famille. À l’épicerie, quand je croisais la femme d’un de nos bons joueurs, je restais vague sur mes réponses ou je devais carrément être complice du joueur: “non madame, je ne me rappelle pas avoir vu votre mari… Je ne saurais vous dire s’il a perdu…” On nous entraîne à être des “dignes’’ représentants du Casino 24 heures sur 24.»
«Cette illusion que nous vendons, nous la subissons nous-mêmes dans nos vies et notre quotidien.» Cette représentation va beaucoup plus loin que de simples sourires, décrit Mme Mainguy. Les employés doivent subir la violence des joueurs sans broncher et sans faire réagir les joueurs. «À force de se faire traiter de “petite garce” ou de “petite cr…”, ça finit par te peser sur les épaules, dit-elle. Un joueur régulier passe par toutes sortes d’émotions que nous devons subir sans nous plaindre, sans pouvoir mettre nos limites. Des joueurs deviennent agressifs, frustrés, envahis par des émotions intenses et extrêmes. Nous ne pouvions pas leur dire de se calmer. Il nous fallait subir ces agressions avec le sourire, même quand le joueur est malheureux et dépasse ses limites de jeu — des agressions verbales, psychologiques, presque physiques à l’occasion.»
«Les barmaids dans les clubs ont la responsabilité de refuser de servir de l’alcool à quelqu’un qui dépasse ses limites. Au Casino, en aucun temps, un croupier ne peut suggérer d’arrêter de jouer!», dénonce Mme Mainguy. Juste avant le suicide. S’il y a intervention, elle ne se fera qu’à la toute dernière limite, juste avant que le joueur craque, raconte-t-elle. «À la limite de la dépression et de la folie, on laisse le joueur s’en retourner.» À Montréal, par exemple, certains se sont suicidés dans le stationnement du casino, d’autres ont marché jusqu’au pont Jacques-Cartier, situé tout près.
«Des croupiers auront été les dernières personnes à parler à ces gens avant leur suicide. Sachant le désarroi et la détresse qui habitent une personne dans les instants précédant son suicide, même inconsciemment, cette énergie peut devenir un boulet à traîner pour le personnel du casino», se rappelle l’ex-croupière, encore troublée par son expérience.
Ligne 1-800 bidon
Face à tout cela, avec un service à la clientèle qui se veut hors pair pour faciliter le jeu, on peut supposer que le Casino traite aux petits oignons ses employés se trouvant aux premières lignes. «Non, tranche la jeune femme, il n’existe pas vraiment de service d’aide aux employés, sauf une ligne 1-800 bidon. Même si j’ai travaillé près de 4 ans au Casino, je n’avais pas le droit de l’utiliser, car j’étais considérée comme une employée occasionnelle. Seulement ceux qui ont un statut de temps plein et régulier y avaient droit.»
«Nous avions des cours conçus par des psychologues pour reconnaître les pulsions des joueurs, afin de profiter d’eux, mais rien pour nous aider à passer à travers tout le stress que nous vivions.»
«Quand un joueur a tout perdu à ta table, il te fait sentir coupable. Loto-Québec fait de même: tout est comptabilisé et tu es toujours espionné. Si tu donnes plus de gain à ta table que la moyenne, tes patrons te font sentir que ce n’est pas normal. “Une chance que tu ne paies pas comme ça tous les jours!”, te disent-ils. Si, comme le prétend Loto-Québec, le jeu est un hasard, pourquoi nous culpabiliser quand des joueurs gagnent? Ils savent que le facteur humain peut être contrôlé et ils mettent tout en place pour y arriver.» Aux casinos, il n’y a aucune horloge: on fait perdre aux joueurs la notion du temps…
Croupiers compulsifs
Mme Mainguy a observé que plusieurs croupiers développent eux aussi des problèmes de jeux. «En tant qu’employé de Loto-Québec, tu n’as pas le droit de jouer au Québec. C’est pourquoi nous retrouvons des employés qui s’installent des tables de jeu chez eux.» «D’autres ont des problèmes d’alcool ou encore de cocaïne. Beaucoup pleurent et ont des signes physiques du stress que nous subissons. La durée de vie des croupiers avant de craquer est de 3 à 4 ans en moyenne.» En bout de ligne, tout le monde y perd et nous sommes tous victimes: le joueur, sa famille et son entourage, le croupier. La société aura plus tard à ramasser les pots cassés.
L’argent amassé par Loto-Québec n’est qu’illusion, croit l’ancienne croupière. Aurons-nous les moyens de payer les effets pervers de cet argent pompé sur le dos des joueurs, des familles et des employés de Loto-Québec? demande-t-elle.
Milliards de profits et 20 millions pour le jeu compulsif…
Sur les milliards et milliards de profits, est-ce responsable de redistribuer seulement 20 millions par année en intervention et en prévention auprès des joueurs compulsifs? Éléonore Mainguy partage un de ses rêves. «Je refuse d’endosser les patterns préétablis par nos gouvernements sous prétexte qu’ils existent depuis déjà longtemps», affirme-t-elle. Oui, on est là pour changer ce monde qui se ternit au rythme des aberrations de notre système.»
«Loto-Québec doit arrêter de faire l’autruche et de miser sur la faiblesse des gens. Qu’ils s’assument et qu’ils arrêtent de mentir à la population!», conclut la jeune femme, déterminée à poursuivre son combat sur toutes les tribunes.
NDLR: Pour contacter Éléonore Mainguy.
L’adresse que nous avions publiée pour rejoindre Éléonore Mainguy n’est plus en activation. Nous avons une autre adresse pour la rejoindre. Nous attendons son autorisation pour la publier. En attendant, vous pouvez nous envoyer vos demandes et nous lui acheminerons: [email protected]
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- Éléonore Mainguy, ex-croupière du Casino
- Jeux de cartes entre amis
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- Responsabilité de Loto-Québec
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