Gauche2Gauche : Vous pensiez personnellement aux présidentielles depuis longtemps ?
Philippe Poutou : Ah non, pas du tout ! Depuis que Besancenot s’est retiré, à l’usine, ça commençait à discuter : « c’est toi qui va le remplacer », me disait-on. L’idée c’est que le profil du candidat soit différent. Le NPA c’est aussi des milliers de militants, il ne peut pas incarner un parti à lui tout seul. Je viens des luttes qui ont animé mon usine, contre les suppressions d’emploi. Quand c’est devenu sérieux, il y a des réunions nationales et un processus s’est lancé. Myriam Martin, Christine Poupin, portes-paroles, étaient aussi candidates, mais le choix a été fait sur mon profil ouvrier.
Quelle est la stratégie pour dépasser ce problème ?
Nous ferons beaucoup, comme d’habitude. Mais les élections, c’est aussi une tribune, or on sait que la crise permet de donner un sens à la campagne auquel on ne s’attendait pas. On pensait que la campagne allait tourner autour de préjugés racistes sur les immigrés, il y a quelques mois on parlait de Le Pen au deuxième tour et des déclarations de Claude Guéant. Il y avait un climat nauséabond. Depuis juillet, ce qui vient au devant de l’actualité, c’est la dette, la crise et le mouvement des Indignés. Au contraire, la réduction du déficit engage un débat puisqu’il y a des attaques sociales en perspective. On va appeler à une lutte sociale tandis que les syndicats préparent des journées d’action pour octobre. Dans ce contexte, on peut peut-être sortir de l’anonymat. Pour réaliser notre politique, il faut une intervention de la population, des salariés, un rapport de force différent. Ce qu’on défend, c’est ce qui se passe en Espagne, en Grèce, mais aussi en Israël, c’est la lutte des Indignés. Nous devons agir au développement de ces luttes, à l’échelle de l’Europe et du monde, pour que les populations se coordonnent et se battent ensemble.
Pourquoi ne pas se rallier au «camarade» Mélenchon ?
Ce qui apparaît comme premier objectif, c’est de virer Sarkozy. Sauf que pour nous, la solution n’est pas dans une alternance, avec le PS ou une nouvelle gauche plurielle. Ce qu’il faudrait mettre en place, c’est un gouvernement de rupture, anticapitaliste, et avec un programme d’urgence qui va à l’opposé de ce qui se fait depuis des années. On ne s’entend pas avec Jean-Luc Mélenchon sur les rapports avec le PS, même si il y a des choses qu’on va défendre de la même manière. Par rapport à la crise, il y a l’annulation de la dette, ce qui signifie derrière la mise en place d’un service public bancaire. Donc la réappropriation du service bancaire, au service de la population et non plus de ceux qui spéculent. C’est déposséder le capital. Il faut aussi un service public de l’énergie, avec pour objectif la sortie du nucléaire. Dans le fond, nous voulons une meilleure répartition des richesses, et là on ne discute pas comme certains même à gauche, qui vont essayer de rééquilibrer, taxer un peu plus les bénéfices. Nous on va taxer là où il y a de l’argent. Le travail a assez payé. Cela veut dire une politique d’embauche, une politique d’augmentation des salaires, de défense de la protection sociale, revenir à la retraite à 60 ans... Nous on pense qu’il y a largement les moyens, il suffit de prendre l’argent là où il est. Nous proposons une révolution, mais pas par les urnes, par la rue : ce qui se passe dans le monde arabe illustre bien ce qui est possible.
Le parti a vécu des départs, il est en difficulté. Ce que vous annoncez est énorme et exigeant. Est-ce que le NPA est suffisamment en bon état pour mener cette campagne sur un tel terrain ?
On est fragilisé. On a vécu des moments difficiles au moment du choix du candidat, avec des déclarations plutôt hostiles de certains dirigeants... La vie interne de notre organisation dépend aussi de ce qui se passe à l’extérieur. On est salariés, la crise on la paie, moralement ou physiquement. On compte sur la campagne pour retrouver l’unité qu’on a perdu. Puis les désaccords entre nous ne sont pas sur le fond, mais sur la stratégie. On est tous en désaccord avec Jean-Luc Mélenchon, mais ce qui se discutait c’était : « ne vaut-il pas mieux être avec lui ? » « A-t-on la force d’être seuls ? ». L’unité on peut la retrouver, la majorité pensait qu’il fallait mieux être seuls pour défendre le programme d’urgence. On va porter quelque chose, mais il y a un décalage avec nos capacités sans luttes sociales pour porter nos revendications. Le NPA peut appeler à la lutte, être solidaire, militer au quotidien. Mais cela passe inaperçu, parce qu’on a pas toujours l’écho médiatique.