Fidelio est un très bel opéra, sans conteste ; mais je l’avoue humblement, il ne compte pas parmi mes œuvres préférées. De Beethoven, je préfère de loin les symphonies, la Pastorale notamment dont le pouvoir d’évocation de la nature est tout simplement prodigieux.
Si Beethoven a composé différentes œuvres pour la scène (musique de ballet, de théâtre, des ouvertures) il n’a en revanche écrit qu’un seul opéra : Fidelio, qui devait, à l’origine, s’appeler Léonore et dont le titre a été changé pour une raison qui va être exposée par la suite.
Le livret de l’opéra est tiré d’une pièce française, Léonore, de Jean-Nicolas Bouilly, œuvre qui a sombré dans les bas-fonds de l’oubli. Le librettiste de Fidelio, Sonnleithner, l’avait traduit et en avait modifié certains passages. L’argument était fondé sur un fait réel qui, apparemment, s’était produit pendantla Révolution Française : Madame de Tourraine avait réussi à délivrer son mari de la prison où les Jacobins l’avaient jeté en se déguisant en homme. A cause de la censure, Bouilly avait été obligé de situer l’action de sa pièce en Espagne. Quelques années avant que Beethoven ne retienne le sujet pour en faire un opéra, un autre compositeur, Pierre Gaveaux, en avait tiré une œuvre lyrique représentée à Paris en 1798.
La genèse du Fidelio de Beethoven est quelque peu compliquée : le compositeur travailla à cette œuvre de l’hiver 1803/1804 jusqu’en 1805. L’ayant laissée de côté, il la reprit en 1806 puis l’abandonna de nouveau et la reprit une dernière fois en 1814. Ce long laps de temps qu’il fallut à Beethoven pour être satisfait de son opéra montre les difficultés auxquelles il se heurta et qui furent les suivantes :
En 1805, la première version de Fidelio était achevée. Après différents problèmes de censure qui avaient obligé Beethoven et son librettiste à couper certaines scènes considérées comme subversives, l’œuvre est créée le 20 novembre 1805 au Theater an den Wien, sous le titre Fidelio ou L’Amour conjugal. Le titre original avait dû être modifié sur demande du directeur du théâtre, qui ne voulait probablement pas qu’on confondît cet opéra avec celui du compositeur Ferdinand Paër, monté en 1804 et qui était également tiré de la pièce de Bouilly. Beethoven composa cependant trois ouvertures appelées Léonore, qui rappellent le titre d’origine. L’opéra fut crée avec l’ouverture Léonore II et connut un échec retentissant qui s’explique par les conditions un peu particulières du moment. Une semaine avant la création, les troupes napoléoniennes étaient entrées à Vienne et la majeure partie du public était composée d’officiers français. Cela dit, l’opéra ne suscita aucun enthousiasme parmi les critiques viennois : on estima que la musique « était jolie » mais qu’elle était encore « loin de la perfection » et que l’œuvre était « loin d’être ne serait-ce que réussie ».
Cet échec ne découragea pas Beethoven qui modifia en profondeur son opéra, avec l’aide de son ami de jeunesse Stephan von Breuning. Ils firent de nombreuses coupures, enlevèrent un acte (on passa alors de trois actes à deux) et Beethoven composa une nouvelle ouverture, Léonore III. Cette deuxième version fut créée le 29 mars 1806 et cette fois, ce fut l’ouverture qui s’attira les foudres de la critique, qui affirma qu’elle déplaisait « par ses dissonances continuelles et par ce tourbillon exagéré de violons », que c’était une musique « plus artificielle que véritablement artistique ». L’œuvre tint l’affiche quelques jours, puis sombra dans l’oubli.
Il fallut attendre 8 ans pour que la troisième et dernière version de l’opéra ne soit achevée. La domination napoléonienne s’était effondrée dans toute l’Europe et Beethoven restait, malgré ses problèmes de surdité, un compositeur très sollicité à Vienne. Afin de toucher un public plus large, il demanda à Georg Friedrich Treitschke, metteur en scène et directeur de théâtre, de remanier le livret, qui subit de nouvelles transformations : resserrement de l’action, ajout de certains passages ; travail qui demanda à Beethoven un grand effort. Peu avant la première, le compositeur se montra cependant encore insatisfait de son œuvre ; mais elle fut quand même créée le 26 mai 1814 et cette fois, ce fut enfin le succès. Pour l’occasion, Beethoven composa la quatrième ouverture qui fait partie de cette version. L’opéra fut ensuite représenté à Prague, puis Dresde, Berlin et d’autres villes.
Fidelio n’a jamais acquis le caractère d’un opéra national allemand, au contraire du Freischütz de Weber. Probablement parce que l’action se déroule en Espagne et qu’en filigrane, on y parle de la Révolution Française et de la Terreur. De plus, le librettiste n’est pas parvenu à situer cette œuvre dans le contexte de l’opéra allemand, alors pratiquement inexistant à Vienne, où dominait l’opéra italien. Ce type d’opéra est basé sur des idées humanistes telles que la rédemption, la liberté, la fraternité et n’a que peu de choses en commun avec le singspiel allemand, si ce n’est sur le plan formel : alternance de dialogues parlés et de parties chantées bien définies. Si les cinq premiers numéros renvoient au singspiel tel que le concevait Mozart, ces caractéristiques s’estompent au fur et à mesure que l’intrigue se déroule. Certains airs comme celui de Pizarro au premier acte présentent un caractère très dramatique ; les scènes du second acte qui se déroulent dans le cachot de Florestan montrent à quel point Beethoven se souciait peu des règles en vigueur à son époque. En fait, Fidelio est un opéra romantique, et cela se voit lorsque Fidelio et Rocco creusent la tombe de Florestan, et les passages parlés, interrompant la musique, engendrent alors une grande tension dramatique. Quant au final de la version 1814, il rappelle nettement la Neuvième Symphonie.
ARGUMENT : La scène se situe dans une forteresse carcérale près de Séville, au 18ème siècle.
Acte I – La cour de la prison. Le portier Jacquino presse Marcelline, la fille du geôlier, de l’épouser. Mais Marcelline est amoureuse du nouvel assistant de son père, le jeune Fidelio, et repousse les avances de Jacquino. Mais derrière ce personnage de Fidelio se cache Léonore qui s’est déguisée en homme afin de venir en aide à Florestan, son mari emprisonné. Rocco, le père de Marcelline, puis Fidelio lui-même arrivent. Marcelline, voyant Fidelio épuisé, se précipite pour le débarrasser de son fardeau. Rocco fait une allusion bienveillante à ce qu’il croit être l’intérêt que se portent les deux jeunes gens ce qui entraîne un magnifique quatuor « Mir ist so wunderbar ». Puis Rocco chante les louanges de l’argent et son utilité pour les jeunes gens qui se marient. La situation de Léonore est devenue des plus scabreuses mais il importe qu’elle continue à jouer son rôle si elle veut sauver son mari.
D’après une description que Rocco fait de ses prisonniers, Léonore est convaincue que son époux est bien dans cette forteresse, mais dans le cachot le plus profond. Pizarro, le gouverneur de la forteresse, arrive. Une dépêche l’avertit que Fernando, ministre du roi, ayant appris que Pizarro usait de son pouvoir pour assouvir des vengeances personnelles, doit venir visiter la forteresse. Pizarro, dans une aria dramatique à souhait, décide d’en finir avec Florestan. Il fait placer sur les remparts de la forteresse un trompette et une sentinelle chargés de surveiller la route de Séville. Le trompette devra sonner l’alarme dès qu’il apercevra l’équipage officiel. Puis il lance une bourse à Rocco et lui ordonne, pour la sécurité de l’Etat, de se débarrasser du plus dangereux des prisonniers, Florestan. Rocco commence par refuser puis lorsque Pizarro assure qu’il le fera lui-même, consent à creuser une tombe dans une vieille citerne qui se trouve dans les caves.
Léonore a tout entendu : son aria « Abscheulicher ! Wo eilst du hin ? » exprime de façon bouleversante son horreur, puis l’espoir que l’amour, la fidélité et l’aide dela Providencesauveront la vie de son époux. Puis, elle apprend qu’elle doit aider Rocco à creuser la tombe ; elle sera ainsi près de son mari et pourra soit l’aider, soit mourir avec lui.
Les prisonniers de l’étage supérieur ont obtenu le droit de sortir quelques minutes, grâce à Léonore et à l’occasion de l’anniversaire du roi. Les cellules sont ouvertes et on leur permet de marcher dans le jardin de la forteresse, jusqu’à ce que Pizarro, furieux, intervienne. L’acte se termine sur leur retour dans leur cellule.
Acte II – Premier tableau – Le cachot de Florestan. Fiévreux et déliran, Forestan, dans une aria, croit voir Léonore et sombre dans l’inconscience. Rocco et Léonore, descendus dans la cave, commencent à creuser la tombe. Soudain, Léonore reconnaît Florestan et obtient de Rocco la permission de lui donner un peu de nourriture. Pizzaro pénètre dans le cachot, se fait reconnaître de son ennemi et dégaine son poignard pour le tuer. Léonore se jette entre eux ; repoussée, elle braque un pistolet sur Pizarro : « Tuez d’abord sa femme ! » La trompette retentit ; Jacquino apparaît et annonce que le ministre du roi est aux portes de la forteresse. Florestan est sauvé, la scène s’achève sur la défaite de Pizarro. Un duo extasié réunit alors les deux époux.
Deuxième tableau – La cour de la prison. Don Fernando se révèle être un ami de Florestan, qu’il fait libérer ainsi que tous les prisonniers. Pizzaro est arrêté et l’opéra s’achève par un chœur de réjouissance, hymne à la gloire de l’amour conjugal et de la fidélité.
Photos :
1 - Theo Adam (Pizarro) au second plan Hans Sotin (Fernando) – téléfilm 1968 ;
2 - Anja Silja (Léonore), Ernst Wiemann (Rocco), Erwin Wohlfahrt (Jacquino), Lucia Popp (Marcelline) – Téléfilm 1968 ;
3 - Anja Silja (Léonore) Richard Cassilly (Florestan) – Téléfilm 1968.
VIDEO 1 : Air de Léonore Acte I “Ascheulicher !...” – Christa Ludwig
VIDEO 2 : Acte I – Choeur des prisonniers
VIDEO 3 : Acte II – Scène de la prison « Er Sterbe ! » Christa Ludwig, James King, Walter Berry, Josef Greindl.