C’est à travers les 35 chapitres de ce court recueil de miscellanées que Keiko Ichiguchi esquisse un portrait du Japon pour le moins inattendu : tour à tour drôle, poétique et charmant, mais aussi austère, superstitieux et conservateur, l’archipel montre ici des facettes aussi diverses que contradictoires qui illustrent à merveille l’expression bien connue servant à décrire ce pays encore « entre tradition et modernité » – en fait, une terre de contrastes qui persiste à trouver des difficultés à s’inscrire dans l’esprit de ce modernisme imposé par l’occupant américain après la guerre du Pacifique. Chacun de ces très courts chapitres explore l’un des nombreux aspects de cette nation mais en faisant néanmoins un assez net focus sur l’industrie du manga et de l’animation, ce qui n’étonne pas compte tenu de la profession de l’auteur.
Ainsi y trouverez-vous l’occasion d’en apprendre quelques-unes sur la provenance réelle du terme « otaku » et sur la manière dont les japonais l’utilisent vraiment, sur les foires aux mangas et la façon dont cette culture se vit pointée du doigt par les médias en raison de certains faits divers tragiques auxquels elle fut associée, sur le marché des mangas amateur et leurs créateurs dont l’ego n’a souvent rien à envier à celui des auteurs professionnels, sur la troupe de théâtre qu’est la Revue Takarazuka et sur l’effet qu’elle produit chez nombre de jeunes japonaises, sur l’évolution de la censure au cinéma en raison des doléances d’auteurs étrangers qui refusaient de voir leur œuvre massacrée, ainsi que – surtout – pourquoi les japonais ont les yeux bridés… Et puis bien d’autres choses.
Keiko Ichiguchi fait ici preuve à la fois d’humour et de recul alors qu’elle nous présente son pays, certes merveilleux comme tous les autres mais dont les qualités se voient souvent enjolivées par de nombreux fans d’animes et de mangas parfois trop enthousiastes ou bien qui prennent trop au pied de la lettre certaines choses aperçues dans leurs œuvres favorites. Pourtant, il s’agit bien d’une invitation à la découverte que nous propose ici l’auteur, et non d’une quelconque remise à l’heure des pendules : Ichiguchi n’a pas quitté le Japon car elle ne l’aime pas mais bien parce qu’elle s’y sentait à l’étroit comme mangaka, de sorte que son affection pour son pays transpire à chaque phrase. Et comme elle a appris à raconter, de par sa profession même, on tombe très vite sous le charme…
Ouvrage aussi court que ce que les sujets qu’il aborde sont divers, Pourquoi les Japonais ont les yeux bridés s’est vite affirmé comme une référence dans la multitude de livres qui permettent de se faire une idée du Japon contemporain, mais sans la froideur intellectuelle qui caractérise souvent ce type de productions. À noter d’ailleurs que cette édition française est enrichie d’une dizaine de courtes bandes humoristiques en fin d’ouvrage, en plus de celles qui se trouvent entre plusieurs chapitres et qui contribuent beaucoup à rendre la lecture très agréable.
Pourquoi les Japonais ont les yeux bridés, Keiko Ichiguchi, 2005
Kana, collection Kiko, janvier 2007
173 pages, env. 8 €, ISBN : 978-2-505-00038-9