Ka mate, ka mate, ka ora, ka ora!

Publié le 12 septembre 2011 par Legraoully @LeGraoullyOff

Sous le fallacieux prétexte de la rotondité de la Terre, les Néo Zélandais ont cru malin d’aller habiter exactement à l’autre bout du monde. Le caractère antipodique du pays kiwi prive ainsi l’honnête citoyen, qui trouve que le matin est une abomination inventée par le patronat sans coeur ou par un dieu sadique, du spectacle de la Coupe du Monde de Rugby. Pour des raisons que j’ai déjà expliquées ailleurs, je me bats grandes et petites lèvres du parcours de notre équipe nationale dans cette compétition (j’ai bien entendu des filles s’en battre les couilles, alors fi de la division sexuelle du je m’en foutisme et battons nous-en ce qu’il nous plaira). Ce qui me chagrine en me réveillant à l’heure où le commun des prolétaires finit sa pause déjeuner, c’est que j’ai raté le seul spectacle vraiment réjouissant de ces festivités (qui ont eu le bon goût de choisir un boeuf et un mouton, animaux symboliques du joueur et du supporter, pour remplacer Paul le Poulpe), à savoir le haka.

A l’intention de ceux dont le seul intérêt pour l’anthropologie est le restaurant chinois de leur quartier, je précise que le haka est une danse rituelle pratiquée par les Maoris, nom générique recouvrant les peuples des îles du Pacifique Sud, qui peut revêtir un caractère festif, cérémoniel ou guerrier. C’est ce dernier aspect qui prévaut dans les danses interprétées par les équipes de Nouvelle-Zélande, des Fidji, des Samoa et des Tonga. Si j’en oublie, je ferai une petite danse de pardon dans mon salon. Ma version préférée du haka est le kapa o pango néo-zélandais qui se finit par une promesse de gorge tranchée dans toute sa largeur plus terrifiante que Roselyne Bachelot au réveil. Malheureusement, les officiels du Board, l’instance internationale qui régit le rugby, trouvent que s’essuyer les crampons sur le dos de son adversaire et lui faire un bisou à la fin du match, ça va, mais couper une tête aussi laide soit-elle, c’est quelque peu outrancier. Ces couards n’ont définitivement pas le sens du sacré, et seul un ethnocentrisme qui confine légèrement à la xénophobie peut expliquer qu’une danse rituelle soit admise et pas une autre. En d’autres termes, d’accord pour vos danses de païens sauvages, mais il ne faudrait pas que ça fasse peur aux enfants ou que ça donne des idées aux hooligans déjà plus confits en dévotion pour la bière tiède que pour le christianisme. Que le dieu Tana-Rore qui préside aux tremblements de terre et qui est le premier chorégraphe maori se laisse pousser la barbe comme Sébastien Chabal et vende ses droits d’auteurs à un sponsor et on en reparlera.

Aussi, et dans l’espoir que la prochaine coupe du monde se déroulera sous des latitudes aux fuseaux horaires plus conformes à mes plages de sommeil, je souhaite soumettre une modeste proposition aux membres du Board, qui pourra à la fois légitimer le kapa o pango et donner un peu de piquant à une compétition où les phases de poule sont plus destinées à l’échauffement des têtes de série qu’à une confrontation équitable. L’idée est la suivante: faire précéder chaque match d’une danse rituelle propre à chaque nation, et accorder un point de bonus au meilleur haka. Ainsi, l’Australie proposera une effrayante danse traditionnelle aborigène, l’Afrique du Sud entreprendra un terrible rituel zoulou, l’Argentine convoquera les chamans Mapuche pour appeler les dieux de la victoire à son chevet, l’Ecosse bombera le torse au son de la cornemuse et des rythmes Ceilidh, et la France pourra s’enorgueillir d’une bourrée auvergnate furieuse ou d’un quadrille tonitruant à côté desquels le tremblement de terre qui a ravagé Christchurch ne sera plus qu’un léger soubresaut sans conséquence. Grâce à cette mesure, les pays dont le folklore est plus riche que la pharmacopée grapilleront des points précieux qu’ils n’auraient jamais pris sur le terrain aux professionnels surentraînés et surdopés, et le public y trouverait une occasion de découvrir les us des nations éloignées, quand sa curiosité dépassera la ruée sur les bières et les prostituées locales. Dans l’intérêt du suspens qui sied à toute compétition internationale, et pour promouvoir activement l’amitié entre les peuples, faites vôtre, chers membres du Board, la phrase de Nietzsche qui disait qu’il ne pourrait croire qu’en un Dieu qui sache danser, et bientôt si vous suivez mon conseil les brebis égarées reviendront dans les chapelles des Dieux du Stade.

Dans un prochain épisode, nous tenterons de sauver le tennis du marasme vestimentaire dans lequel il croupit, et nous adresserons une déchirante supplique à Jean Paul Gaultier pour qu’il nous protège des horribles tenues fluorescentes que revêtent les adeptes de la petite balle jaune.