La semaine dernière a vu une annonce qui a été commentée pour l’essentiel dans les journaux économiques alors qu’elle aurait probablement mérité mieux : il s’agit de la
« relocalisation » de certains postes de direction générale de Schneider Electric en Chine ! On trouvera, par exemple, de plus amples informations dans « Les Echos ». Pour
ceux qui ont accès à la version papier de ce journal, ils constateront que Schneider Electric n’est pas le seul groupe français à « relocaliser ». Dans ce texte, je vous propose
quelques réflexions bien personnelles à ce sujet.
Commentons tout d’abord le terme utilisé par « Les Echos » : relocalisation. Depuis la mise en œuvre de la mondialisation débridée, nous étions plutôt habitués au terme
« délocalisation » et pour un français qui maîtrise sa langue même moyennement, on voit de suite de quoi il s’agit. Le terme « relocalisation », sans être expert
linguistique, avec le préfixe « re », semble indiquer que l’on a initialement délocalisé et que l’on déciderait ensuite de relocaliser. Je ne suis pas expert de l’historique de Schneider Electric, mais il me semble que le terme soit bien impropre. Quelles que soient les origines de ce groupe, je
doute qu’elles soient chinoises. En conséquence, il émerge une question bien naturelle : quel message subliminal cherche à nous faire passer le journal « Les Echos » en
qualifiant la mesure de relocalisation alors qu’il s’agit, une fois de plus, d’une délocalisation ? Sans doute ce journal, complaisant avec les acteurs du monde économique, veut-il
amoindrir le choc psychologique que signifie un tel événement. Au minimum, cela mériterait explication de sa part.
Passons donc à ce choc psychologique, légitime, que crée une telle annonce. On a coutume de penser qu’avant la mise en place de la mondialisation débridée, le patronat, même s’il a largement
exploité la classe ouvrière, à travaillé pour le bien commun, en permettant le développement et l’enrichissement de notre pays, permettant à ce dernier d’être ce que l’on a coutume d’appeler
une grande puissance qui pèse, dans le concert des nations, bien davantage que son poids démographique. Les soubresauts sociaux ont été là pour lui rappeler que le gain est une œuvre collective
et que le partage est une vertu, chrétienne, salutaire à la bonne marche d’une société. Las ! La mondialisation nous a mis en contact avec un état d’esprit majoritaire au niveau mondial
qui n’est pas dans cette mouvance philosophique, mais bien à l’opposé où la cupidité la plus extrême accompagnée d’un égoïsme forcené font loi. On a donc commencé à mettre en concurrence les
plus faibles de notre société avec les plus faibles de sociétés retardées. On a joué sur la misère des premiers en leur proposant, pour moins cher, des produits importés, fabriqués dans des
conditions inhumaines et scandaleuses, les trompant et les menant, pour pouvoir survivre, à creuser leur propre tombe et celle de leurs enfants. Les années 80 ont signifié une montée en qualité
des personnes mises en compétition ; on est passé des ouvriers aux techniciens et ingénieurs. Le résultat est probant, la part industrielle dans le PIB de la France tend aujourd’hui vers
zéro. De 2000 à 2010 on a perdu plus d’un millions d’emplois industriels. Notre état ne vit plus que de dettes, qui ne pourront durer que tant que nos créanciers chinois voudront bien nous
vendre à crédit ; crédit que nous serons bien incapables de rembourser.
Pendant toutes ces années de délocalisations, il est un point intrigant qu’il nous faut remarquer. Alors que le paysage brossé ci-dessus fait plutôt penser à une catastrophe économique, les
gouvernements successifs, les administrations soi-disant indépendantes comme l’INSEE par exemple, n’ont cessé de parler de croissance. Nous aurions été en croissance, disons de 1974 à
aujourd’hui. On ne peut s’empêcher de penser que cette vision, diffusée à l’envi dans les médias, ne concerne qu’une toute petite partie de la population, celle qui a, par exemple, vu passer le
rapport entre le salaire ouvrier et celui des patrons du CAC 40 de 40 justement à plus de 400 aujourd’hui. Cette petite caste gouvernante a effectivement vu une forte croissance. Aujourd’hui,
il suffit d’allumer un medium audio ou télévisuel pour se rendre compte que notre pays est ruiné si ce n’est le continent ou, pis encore, la civilisation occidentale. Les profiteurs qui nous
ont ruinés (rappelez-vous les déclarations de François Fillon à son arrivée à Matignon en 2007), comme les criquets pèlerins en Afrique, n’ayant plus rien à piller sur nos terres, s’expatrient
donc, préférant à nos contrées, des terres en croissance disent-ils. Il ne fait nul doute, là-bas, qu’ils prêcheront encore la croissance, comme ils l’ont fait chez nous, trompant par là-même
ceux qu’ils auront rejoint. Et bien entendu, dans ces nouveaux pays pour eux, tout ne pourra que bien aller ; la croissance sera au rendez-vous, le développement, la richesse… Bref !
Le bonheur (selon eux) !
Quant à nous, une sévère gueule de bois nous guette. Le dopage vécu ces dernières décennies aux anabolisants du crédit, les gains faciles et exorbitants de certaines professions
qui ne réclament aucune compétence réelle, etc., tout cela devra disparaître. Tout cela devra être remplacé par un système de valeurs beaucoup moins subjectif et bien des
dents vont probablement grincer. A l’heure où beaucoup de nos jeunes ne voient que par le commerce, il faudra peut-être songer à produire un peu plus pour vendre le fruit de notre travail avant
tout. Alors, pendant que dans certains coins du monde et pour certains rares élus, tout ira bien et que cela continuera, nous aurons à remonter une pente bien raide, mais basée sur de vraies
valeurs. Si en plus on arrive à se prémunir de ces prédateurs « relocalisés », si on arrive à les « délocaliser » avant qu’ils ne nous soient délétères, alors, peut-être,
avons-nous quelque chance de renouer avec le succès.