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Puisque nous sommes vivants d'Olivia Rosenthal

Par Sylvie

Editions Verticales, 2000
Puisque nous sommes vivants
Olivia Rosenthal est incontestablement l'une des plumes françaises contemporaines les plus originales. On dit que l'écriture française est de nos jours centrée sur le moi et ses souffrances...c'est vrai pour Olivia Rosenthal, mais c'est raconté avec tellement d'ironie et d'auto-sarcasme que c'est passionnant ! 
On retrouve ce goût immodéré pour le monologue inninterrompu, ce flux verbal qui caractérise l'écriture de Lydie Salvayre. Deuxième point commun avec cet écrivain : son goût pour les personnages un peu dingos, à la marge. Et aussi ce mélange d'absurde et de philosophie...car il est tout de même fait référence aux Passions de l'âme de  Descartes !
La narratrice nous parle et nous expose qu'elle est malade de...la glande pinéale...ce petit appendice cher à Descartes, petite zone du cerveau qui nous fait éprouver les émotions, les souffrances. Le médecin propose de lui enlever tout en l'avertissant qu'elle deviendra sans cette glande un légume qui n'éprouve plus rien ! Mais la femme s'énerve et veut à tout prix vivre...

C'est alors qu'elle va nous exposer son "discours de la méthode" pour endiguer son dérèglement de l'âme, n'en déplaise à Descartes, qualifié de "philosophe de seconde zone aux conclusions complètement dépassées" !
Elle va d'abord chercher dans son passé immédiat ce qui a bien pu dérégler ses "humeurs" : lorsqu'elle a commencé à prendre en filature une jeune femme qui va finir dans son lit et qui va bien sûr poser des problèmes dans son couple !
Puis vient la méthode pour soigner la glande : l'emploi du temps, la dispersion...mais rien ne marche !
On se délecte vraiment d'une telle écriture foisonnante, oscillant toujours entre un certain intellectualisme et un auto-dénigrement perpétuel. Cette âme torturée, perdue, qui lutte en vain contre sa "maladie" , qui apostrophe le lecteur, est en même temps détestable et très drôle !
A partir d'un scénario original (qui a entendu parler de nos jours de la glande pinéale !!!), elle brode finalement une histoire bien contemporaine sur les dérèglements d'aujourd'hui, les questions perpétuelles de l'âme...mais sauf qu'au lieu de parler de dépressions et de médicaments, Olivia Rosenthal invente sa recette bien particulière !
Voici quelques extraits très significatifs :
"Puisque vous n'entravez décidément rien à ce que j'essaye, maladroitement sans-doute, de vous expliquer, je serai plus directe. Vous ne croyez tout de même pas, espèce de petite protubérance, de crapaud satisfait, de charognard et de goûte sang, vous ne croyez tout de même pas que je vais me laisser charcuter par vos sbires dans l'espoir de ne plus rien jamais ressentir et de devenir l'heureux et paisible légume en lequel vous voudriez que tous vos patients se muent"
"Qu'entends-je alors en mon intérieur, je vous le donne en mille? Une tripotée de murmures, messieurs dames, des rumeurs de sable et de gravier...la récitation en bonne et due forme des dix commandements ...assortis des fondements de la métaphysique des moeurs , vous voyez messieurs dames, plutôt du beau monde et pas de bavardage, soyez sûr que cela occupe, de la boîte cranienne à la cage thoracique...j'admire en ma solitude sa résonance intérieure et me plie à ce qu'lle me dit, j'admire en ma solitude le peuplement de moi par des paroles, mots et démonstrations que je ne savais pas connaître, je suis admirative devant mon savoir et devant l'ignorance que jusqu'à présent j'entretenais de ce savoir, et voyez-vous, l'admiration est une bonne piste, un remède efficace, un début prometteur, je me dis qu'en continuant un peu dans cette voie je vais finir par découvrir que je suis une personne ayant toutes sortes de richesses à exploiter, il suffit de faire fructifier son esprit au lieu de l'éparpiller et le semer au vent et je me surprends à me magnifier, rendez-vous compte  de tot ce que je sais, si jeune encore et déja tout en magasin, une collection de certitudes, si jeune et déja sage, si jeune et ayant déja choisi la voie de la contemplation..."
"L'intérieur de mon corps plein de sucs, d'humeurs, plein d'excroissances affreuses, l'intérieur de mon corps envahi par la maladie de ma glande, abcès, moisissures, larves blanches suçant les organes, parasites collés et satisfaits, et ma glande, elle surtout, elle, la reine du territoire, non pas atrophiée, desséchée et ridée comme on aurait pu craindre, mais florissante, mais déployée, énorme, gonflée, ma glande grosse, couverte de follicules et purulente, ma glande granulée, rayonnante, qu'il faudra sans aucun doute percer comme un furoncle, une baudruche, ....."


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