Un petit texte, qui m’a ravi. Quelqu’un trouvera sûrement l’auteur, inattendu.
“Dans la fente du garde-manger entrouvert ma main s’enfonçait comme un amoureux dans la nuit. Lorsqu’elle était chez elle dans l’obscurité, elle cherchait en tâtonnant du sucre ou des amandes, des raisins secs ou des fruits en bocaux. Et comme l’amoureux qui, avant de lui donner un baiser, prend sa bien-aimée dans ses bras, le sens du toucher avait rendez-vous avec eux avant que la bouche ne savoure leur douceur. Avec quel abandon le miel, les petits tas de raisins de Corinthe et même le riz cédaient sans résistance à ma main en la flattant ! Quelle passion dans la rencontre de deux êtres qui avaient enfin maintenant échappé à la cuillère ! Reconnaissante et fougueuse comme celle qu’on a enlevée de la maison de ses parents, la confiture de fraises se laissait prendre sans petit pain et pour ainsi dire à la belle étoile, et la graisse elle-même répondait tendrement à la hardiesse d’un soupirant qui s’introduisait dans sa chambre de bonne. La main, Don Juan juvénile, avait bientôt pénétré dans toutes les cellules et tous les réduits, derrière des couches qui s’écroulaient et des foules qui affluaient; virginité qui se renouvelait sans plaintes.”
Henri-Horace-Roland Delaporte, La petite collation, 1787, Musée du Louvre.