... je répète: les sangliers sont lâchés.
Quand ils ne viennent pas marauder comme des sagouins dans les vignes de Lisson ou d'ailleurs, les sangliers prélèvent artisanalement de petites lanières d'épicéa, sur des arbres fraichement abattus, afin d'entourer affectueusement un fromage de qualité, revendiquant l'AOP. Le Mont d'Or, pour ne pas le nommer, fromage fabriqué dans le Haut-Doubs, au delà de 700 mètres d'altitude, à partir de lait issu de vaches montbéliardes nourries exclusivement à l'herbe ou au foin, du 15 août au 15 mars, vient tout juste de faire sa Coulée, à l'occasion de la Haute-Foire de Pontarlier. L'évènement est désormais fixé le 10 septembre de chaque année, date à partir de laquelle le fromage est officiellement commercialisé sur les étals des grandes surfaces du monde entier. Il faut néanmoins attendre quelques jours de plus pour le trouver au Carrefour ou au Leclerc de New-York, Naples et Hong-Kong.
À moins de séjourner 1/2 heure sous le gril du four, les premiers Mont d'Or ne coulent pourtant pas beaucoup. L'amateur de sensations gustatives un peu plus fortes le préfèrera cru, plus affiné et patientera volontiers encore quelques semaines avant de s'en faire une bonne tartine. Ce qui donne à ce fromage onctueux son petit goût inimitable, c'est donc cette petite sangle d'épicéa qui entoure la pâte. Le plus souvent, maintenant, les sangles proviennent à bas prix des pays de l'Est, notamment de Pologne. Un véritable marché parallèle, cautionné par un puissant "lobby fromager", s'est mis en place, avec pour seul objectif la réduction des coûts de production. Les sangliers d'ici, ainsi que leurs homologues féminins (que l'on évitera d'appeler des laies, ce qui serait mal venu, mais plutôt des sanglières), peinent alors à exister et faire entendre leur voix. Ils ne sont désormais plus qu'une dizaine, regroupés au sein d'une association "Sangles du Haut-Doubs". Pour protéger leur savoir-faire, leur spécificité, ainsi que l'origine des sangles utilisées lors de la confection du Mont d'Or, ils ont mis en ligne une pétition, par l'intermédiaire de leur présidente Agnès Ambert, sur le site mesopinions.com. Il s'agit d'un combat pour leur survie, même si les épicéas polonais développent des arômes à peu près similaires à ceux de leurs homologues franc-comtois. Ces sangliers-là ne méritent pas de finir en daube ou en ragoût. Pour quelle raison l'AOP s'arrêterait à la production du lait et pas à ce qui fait aussi la spécificité locale du fromage? C'est une bonne question, qui mérite d'être posée.
Olif