Cette très longue phrase résume à elle seule tout l’esprit de Bienvenue à Oakland. T-Bird Murphy, le narrateur, a grandi dans l’un des pires quartiers de la ville. Un univers de crasse, de misère et de violence où se côtoient les noirs, les chicanos et les blancs les plus pauvres. Son monde est celui des ouvriers de chantiers, des conducteurs de camion benne ou encore des garagistes à la petite semaine. L’incarnation du prolétariat américain, proche de la folie et du désespoir, mais qui tient à rester férocement libre et vivant : « Y a rien de plus beau que la volonté de vivre lorsqu’on baigne dans le désespoir absolu. L’espoir, c’est pour les connards. Il n’y a que les grandes âmes pour comprendre la beauté du désespoir ». Avec T-Bird, on découvre une incroyable galerie de personnages : Pop, Louie, Blaise, Jorgensen, Jones… des âmes meurtries, torturées, qui vivent dans des caravanes ou des maisons complètement déglinguées. Des hommes pour qui la solidarité n’est pas un vain mot et qui, quelque part, refusent de se résigner. Mi-clodo, mi-prolo, vivant de petits expédients, T-Bird vous emmène dans son monde. Et franchement, c’est pas joli-joli.
Eric Miles Williamson braque les projecteurs sur le quart monde occidental. Sans concession. Ce n’est pas un scoop, j’aime beaucoup ce ton, quand le narrateur vous attrape à la volée pour vous faire une clé de bras et vous oblige à vous pencher sur SA réalité. T-Bird interpelle le lecteur, l’invective, l’insulte. Il se pose en fou furieux indomptable et incontrôlable. La narration est très déstructurée. Les phrases peuvent faire plusieurs dizaines de lignes et T-Bird s’égare souvent, alors qu’il a commencé à raconter une histoire, vers d’autres horizons. Des digressions qui peuvent durer de nombreuses pages avant qu’il ne reprenne le fil de sa pensée. Une construction de prime abord déstabilisante pour le lecteur mais qui reste finalement facile à suivre. La structure du roman fait penser à une grande improvisation de jazz. D’ailleurs, la musique est très présente, T-Bird étant passionné par la trompette.
Malgré toutes ces évidentes qualités, a-t-on pour autant le roman enthousiasmant que l’éditeur et certains critiques veulent nous vendre ? Je n’en suis pas certain. Le magazine Transfuge parle d’un « Bukowski érudit ». Pour l’éditeur, on tient l’héritier de Céline et d’Henri Miller. Euh, il faudrait peut-être voir à ne pas trop s’emballer. Ce texte n’a pas la fluidité, l’humour et l’art des dialogues de Bukowski. Il n’a pas non plus le souffle de Céline. Bref, pas la peine de survendre le truc. J’ai beaucoup apprécié cette lecture mais il n’y a là rien de vraiment nouveau ni de révolutionnaire. Un très bon roman américain plein de bruit et de fureur, voila ce qu’est Bienvenue à Oakland. Et c’est déjà pas mal !
Bienvenue à Okland, d’Eric Miles Williamson. Fayard, 2011. 412 pages. 22 euros.