10 ans après, comprendre le 11 septembre

Publié le 11 septembre 2011 par Copeau @Contrepoints

Pour Oussama Ben Laden, le 11 septembre n’était pas un acte de terrorisme gratuit mais une guerre symbolique contre le Mal et une guerre stratégique pour le Pouvoir: un mélange de mystique et de politique, comme l’est le mouvement islamiste tout entier.

Par Guy Sorman

11 septembre 2001 (CC, TheMachineStops)

Pourquoi New York ? La ville, comme cible, fut désignée par Sayyid Qutb, le fondateur spirituel de l’islam politique contemporain. Jeune instituteur égyptien, invité à New York pour y suivre un stage de formation, en 1947, il fut pris d’une haine indicible pour New York. À lire Sous l’ombre du Coran et Justice sociale en Islam, qui deviendront les Évangiles des islamistes, New York était l’anti-islam comme d’autres furent l’Antéchrist. Il y souffrit particulièrement du racisme  – sans doute en fut-il victime – et plus encore de la liberté des mœurs des femmes – leurs bras et jambes nus, l’été dans les rues de Manhattan, furent vécus par lui comme des agressions du Diable.

Après que Qutb fut exécuté en prison (en 1966) par le régime de Gamal Abdel Nasser, ses disciples, dont Oussama Ben Laden, devinrent à leur tour obsédés par New York. L’objectif était  symbolique : détruire les Tours jumelles était à l’évidence une atteinte à la virilité américaine. La sexualité et ses fantasmes sont essentiels au comportement de l’Islam radical.

L’attentat du 11 septembre n’était donc pas tant un acte militaire que mystique : Ben Laden n’envisageait évidemment pas de conquérir l’Amérique. Mais par-delà le sacrifice inspiré par Qutb, le 11.9 s’inscrit aussi dans une démarche stratégique : le véritable objectif de Ben Laden n’était pas New York mais La Mecque.

Ben Laden se percevait en nouveau Commandeur des croyants, destiné à restaurer le Califat dans la lignée de Mahomet : il lui fallait, dans cette démarche, nécessairement prendre la Mecque ainsi que Mahomet y parvint. Cette victoire exigeait que l’armée saoudienne soit vaincue ou qu’elle se soumette à Ben Laden : ce qui lui semblait possible si les États-Unis cessaient de soutenir le régime saoudien. Pareil pour la tyrannie égyptienne que Ben Laden estimait aussi manipulée par les États-Unis. Il espérait donc que l’attentat contre New York frapperait les Américains au point qu’ils se replient sur eux-mêmes et renoncent à soutenir leurs alliés arabes. Les peuples arabes, libérés de la tutelle des despotes pro-Occidentaux, se seraient alors ralliés en masse à leur nouveau guide.

Le 9.11 n’était donc pas, dans l’esprit de son auteur, un acte de terrorisme gratuit ainsi qu’on le qualifie en Occident , mais une guerre symbolique contre le Mal et stratégique pour le Pouvoir: un mélange de mystique et de politique, comme l’est le mouvement islamiste tout entier. Mais Ben Laden s’est évidemment trompé sur la réaction américaine : George W. Bush ne pouvait pas accepter un second Pearl Harbour sans réagir, et comme après Pearl Harbor, la réaction ne pouvait être que militaire. Les États-Unis sont une nation martiale, peu portée à la négociation (ce que n’ont toujours pas compris les Européens qui auraient préféré des opération de police plutôt que la guerre).

Ben Laden s’est trompé plus encore sur son propre monde : les Arabes, hors une poignée de mystiques et de mercenaires, n’ont aucun désir de s’en retourner au temps du Prophète sous les ordres d’un Ben Laden. On s’en doutait mais ils nous ont assené la preuve : les révolutions arabes en cours ne se réclament pas de l’Islam radical, mais des Droits de l’homme universel. Le 9.11, Ben Laden et sa mouvance ont gagné une bataille et perdu la guerre, une guerre qui opposait les musulmans à d’autres musulmans : l’Occident n’en fut jamais l’enjeu premier, mais l’occidentalisation du monde, oui.


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