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Petit essai d'économie politique (fin)

Publié le 11 septembre 2011 par Feuilly

Je disais donc que le citoyens, bousculés par la mondialisation de l’économie  et ses principes fort peu humains, en viennent à souhaiter que les Etats conservent leur rôle protecteur.  Car que se passera-t-il le jour où tout, absolument tout, sera privatisé ? Il faudra alors souscrire des contrats auprès des compagnies d’assurances (dont on connaît les tarifs onéreux) pour tenter de se faire rembourser une petite partie des frais médicaux ou pharmaceutiques. Il faudra cotiser toute sa vie auprès d’une banque privée pour avoir droit à une retraite décente (mais comment abandonner quasi un tiers de son salaire ? Et que se passera-t-il si cette banque fait faillite ?) Quant à la législation sociale, elle aura disparu et le patronat pourra exiger tout ce qu’il voudra. Ne lui jetons pas la pierre, d’ailleurs, car il sera contraint et forcé d’agir de la sorte pour répondre aux exigences des actionnaires qui auront pris les commandes des entreprises.

Bref, je discutais de tout cela l’autre jour dans un parc avec une connaissance. C’est alors que mon attention a été attirée par un homme qui somnolait sur un banc.  Il n’avait pas (encore) la mine d’un clochard mais son teint basané le trahissait. C’était sans doute un de ces nombreux réfugiés politiques (mais ce sont en fait généralement des réfugiés économiques) à la situation précaire que l’on trouve dans nos villes. Je ne sais comment la conversation s’engagea, mais nous comprîmes tout de suite que cet homme n’avait pas perdu  un mot de notre conversation. « Le problème », dit-il, « c’est que les riches qui dirigent le monde veulent de plus en plus d’argent. » Nous étions assez d’accord avec lui et par curiosité nous lui avons demandé comment cela se passait dans son pays, ce pays  qu’il venait de quitter.

« Chez moi », dit-il, « c’est fort différent. J’étais fonctionnaire et l’Etat m’avait accordé une maison de fonction. Après cinq années, elle était à moi. Oh, elle n’était pas neuve et il y avait tout de même quelques travaux à faire, mais c’est l’Etat, une nouvelle fois, qui a tout pris ne charge. Evidemment, quand j’ai voulu agrandir, j’ai dû faire un emprunt, mais le taux n’était pas bien élevé » ajouta-t-il en souriant.

« Et il était de combien, ce taux ? » demandâmes-nous intrigués. « Ben, de zéro pour cent, on ne pouvait pas faire mieux. »

Nous le regardâmes un peu étonnés.  Zéro pour cent ? Non, ce n’était pas beaucoup, en effet… Suspicieux, nous avons commencé à le dévisager. Que venait faire chez nous ce fonctionnaire, s’il vivait  dans un tel paradis ?

« Oui, c’est vrai qu’ici,  en Europe, c’est fort différent » continua-t-il. « J’en sais quelque chose. Au début, quand je suis arrivé, j’ai loué un tout petit appartement, que je payais avec les économies que j’avais apportées. Mais l’argent s’est vite volatilisé. C’est qu’il ne fallait pas seulement s’acquitter du loyer. Il y avait aussi l’eau, le gaz et l’électricité, qu’on me facturait à des prix inimaginables. » Là, nous étions bien d’accord. Depuis la vague des privatisations, le prix du gaz et de l’électricité avait augmenté de 30%. C’était un scandale. Avant, c’était quand même plus abordable… « C’était surtout plus abordable chez moi » dit l’étranger. « Comment, cela, plus abordable ? » « Ben c’était gratuit, tout simplement, pris en charge par l’état. Quant à l’essence, elle était à 0,08 euros du litre. »

Là, c’était trop. Nous nous sommes regardés, mon copain et moi,  et c’est nous qui nous sommes retrouvés assis sur le banc. L’émotion était si forte que nous en avions les jambes coupées ! Subitement, nous avons dévisagé notre interlocuteur avec méfiance. Ce n’était pas possible, ce qu’il racontait là. Ce n’était qu’un fumiste, un inventeur d’histoires. Ou alors un fou, un mythomane, qui rêvait à un pays fabuleux qui n’avait jamais existé ailleurs que dans son imagination. D’ailleurs, pourquoi aurait-il quitté un tel Eden ? Cela ne tenait pas debout.

« Et vous travailliez dans quoi exactement ? » demandai-je en espérant qu’il s’embrouillerait dans ses contradictions. « Vous étiez fonctionnaire aux Contributions ? » « Oh non » répondit-il avec naturel. « Il n’y a pas d’impôts chez nous, ni même de taxe spéciale. Comment appelez-vous cela  déjà… La TVA ? » Quoi ? Ni impôts ni TVA ? Il n’y avait pas de doutes, ce type était fou à lier. Il déraisonnait complètement. Si cela se trouvait, il était né ici de parents immigrés et n’avait jamais mis un pied à l’étranger.

« Vous parlez drôlement bien le français, pour quelqu’un qui n’est pas ici depuis longtemps », susurra mon ami d’un air soupçonneux. « Oui, c’est normal. L’Etat m’avait accordé une bourse et je recevais l’équivalent de  1.600 euros par mois pour aller étudier dans une université réputée en dehors de nos frontières. Moi, j’avais choisi la France, c’est là que j’ai appris le français. Je serais bien resté, une fois que j’ai obtenu mon diplôme, mais il n’y avait pas d’emploi. Alors je suis retourné chez moi. Comme j’étais diplômé, j’ai perçu un salaire provisoire pendant un an. Puis j’ai finalement trouvé du travail. Au Ministère, je m’occupais du service des plaques d’immatriculation.  C’est qu’’il y a beaucoup de voitures chez nous, puisque les particuliers peuvent les acheter au prix d’usine. Et avec l’essence qui est pou rien… »

Là, je dois dire que nous n’en menions pas large. C’est qu’on finissait par croire à tout ce que racontait ce bougre, tant il parlait avec naturel. Je sentais même naître en moi une pointe de jalousie. A ce stade, j’ai voulu tout savoir, alors j’ai continué mon interrogatoire.

«  Et la vie était chère, chez vous ? Je veux dire, l’alimentation ? » « Oh non, moins chère qu’ici. Bien moins chère. D’abord, pour les familles nombreuses, il y avait des magasins où tout était à moitié prix. Mais bon, moi cela ne me concernait pas. Mais vous devez comprendre  que même dans les autres magasins  le gouvernement intervenait. Par exemple, si un producteur vendait i kg de pâtes 1 euro, l’Etat l’achetait et le revendait à la population 50 centimes. Cela n’a l’air de rien, mais sur une année cela vous fait une belle différence. Ajoutez à cela que le soins médicaux étaient gratuits et faites vos comptes…»

Nous le regardâmes, complètement interloqués. « Ben, pourquoi êtes-vous partis, alors ? » demandâmes-nous en chœur.

Son regard se voila. Il contempla les pelouses du parc comme là-bas, chez lui, il devait contempler l’infini du désert. « Je suis parti à cause de l’OTAN  et de vos bombardements» dit-il. « Et puis aussi pour ne pas être massacré par ceux que vous nommez les « rebelles ». Vous comprenez, comme fonctionnaire d’Etat, j’allais être considéré comme un traitre, qui avait soutenu le régime. Pourtant, je n’ai jamais fait de politique. »

« Ah, vous êtes libyen, alors ? Mais les « rebelles », comme vous dites, vous ont pourtant apporté la démocratie, ce n’est quand même pas rien, cela, non ? Cela vaut mieux que de petits avantages matériels. » « Quels rebelles, d’abord ? Un ramassis de royalistes et de religieux proches d’Al Qaïda ? Vous ne trouvez pas étrange que cette révolution n’a pas commencé dans la capitale, à Tripoli, comme ce fut le cas au Caire ou à Tunis ? Vous ne trouvez pas étrange qu’ils ont tout de suite eu des armes ? Et qu’ils ont été capables de prendre d’assaut des casernes ? Et c’est quand même bizarre que c’est justement la région pétrolière qui s’est soulevée, non ? Ils ont même créé une banque centrale. Vous penseriez à cela, vous, quand vous manifestez dans la rue ? Bon, maintenant il n’y a plus rien à faire puisque la planète entière a reconnu  leur légitimité. J’ai bien fait de partir si je tenais à la vie. En attendant j’étais  bien là-bas, moi, et maintenant… » D’un geste las il montra le parc où il passait ses journées et peut-être ses nuits.   

Nous ne savions plus que dire. Nous avons dû convenir que dans son cas, évidemment, le changement de régime ne lui avait rien apporté. « Mais enfin, cela vous plaisait tant que cela de vivre dans une dictature, vous ne vous sentiez pas étouffer ? »  « Et ici, alors ? Vous croyez que je me sens mieux ? Il est vrai que je suis plus libre depuis que je passe mes nuits sur un banc, à la belle étoile... »

Que pouvions-nous répondre à cela ?

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