Jeudi 8 septembre, cinquième jour à explorer les couloirs du Forum des images et à chercher la place idéale dans la grande salle 500 pour les films de L’Étrange Festival. Après avoir un temps hésité à aller voir un Bollywood semblant bien délirant intitulé Endhiran, mon choix s’est finalement porté sur un film de vampires américain pour débuter. Stake Land nous est annoncé comme une version vampirisée de La Route de John Hillcoat. Une idée intrigante et prometteuse.
Il s’agit de l’odyssée, à travers des États-Unis ravagés, d’un chasseur se faisant appelé Mister et d’un jeune garçon qu’il a sauvé de ces monstres ayant fait leur apparition partout dans le monde. Le duo progresse sur les routes en direction d’un éventuel Eden annoncé au nord, vers le Canada, un lieu froid où ces vampires (qui ne ressemblent pas tant à des suceurs de sang qu’à un croisement avec des zombies) seraient absents. Mister et Martin, le jeune garçon, s’apprivoisent en silence dans ce décor post-apocalyptique sur les routes duquel ils se feront des compagnons de route à l’espérance de vie limitée.
La comparaison avec La Route, le film ou le merveilleux bouquin de Philip Roth, est effectivement incontournable, malheureusement bien vite aux dépens du film de Jim Mickle, trop familier pour apparaître comme autre chose qu’une (toute) petite série B sympatoche, peuplé d’acteurs manquant de charisme et de personnages franchement fades. La plus grande surprise tient vraisemblablement dans l’irruption à l’écran de Kelly McGillis en bonne sœur, loin, très loin du sex-symbol qu’elle a été dans les années 80 (même en plissant fortement les yeux, rien ne rappelle l’instructrice de Top Gun). Au-delà de cette invitée « de luxe », Stake Land se traîne bien trop en longueur (il semble durer au moins deux heures, ce qui est loin d’être le cas) et offre un dénouement, non pas ridicule mais insatisfaisant et un brin maladroit.
Le film a tout de même pour lui de bien se tenir visuellement malgré le petit budget, et est surtout bercé d’une voix off joliment utilisée, ce qui est suffisamment rare pour être souligné. Ce film si mineur aura au moins eu le mérite de m’assoiffer d’un cinéma plus audacieux, ce qu’il m’a été donné de voir quelques heures plus tard ce même jour avec Revenge : a love story du chinois Wong Ching Po.
Comme Super la veille, Revenge : a love story n’était programmé qu’une fois au cours du festival. Je n’aurais pas été surpris d’être assis dans une salle bondée pour l’occasion, mais si l’homme aux sacs plastiques était lui bien présent au rendez-vous (il l’était déjà la veille pour Super et plus tôt pour Stake Land…), tout le monde ne s’était pas donné le mot pour venir voir ce polar made in HK. Tant pis pour eux, ils ont raté l’un des tous meilleurs films du festival (affirmation bien sûr exagérée puisque je suis loin d’avoir tout vu). Est-ce là une surprise, pas totalement puisque le long-métrage est produit par Josie Ho et Conroy Chan, à qui l’on devait déjà l’excellent Dream Home, découvert l’an passé à L’Étrange Festival 2010.
En guise d’ouverture, on apprenait qu’aucune actrice chinoise n’avait voulu se glisser dans la peau du personnage principal féminin, une jeune femme simple d’esprit victime d’un viol trop graphique à l’écran pour que les comédiennes de l’Empire du Milieu ou de Hong Kong veuillent s’y frotter. C’est donc à une actrice japonaise de cinéma porno, Sora Aoi, que le réalisateur Wong Ching Po a confié le rôle. L’anecdote justifie probablement l’interdiction aux moins de 16 ans, les femmes enceintes éventrées de leurs bébés que l’on voit au début du film en étant certainement une raison supplémentaire.
Mais l’important n’est pas dans la nationalité de l’actrice ou dans le sang versé au début du film. L’important, c’est que Revenge : a love story démonte la narration attendue du polar. Il commence comme un thriller avec des flics courant après un tueur sadique tuant des femmes d’inspecteurs enceintes de la manière décrite plus haut. En ce premier acte, on croit que les héros du film seront ces flics pourchassant ce tueur en série particulièrement froid et sanguinaire. C’est alors que le scénario opère un virage à 180°.
En remontant les pendules du temps, il offre le négatif de cette histoire, faisant de celui qui sera tueur en série le protagoniste du récit. Les rapports s’inversent, notre vision des personnages et des enjeux sont altérés, le thriller sanguinolent se transforme en une exploration de la vengeance. En brouillant les pistes narratives, le réalisateur nous montre que la notion manichéenne dépend du point de vue que l’on adopte. Son regard sur la vengeance dans la société devient un regard sur l’art narratif, une exploration de la manipulation que peut représenter une histoire racontée. Le réalisateur s’écarte du thriller violent pour offrir un film à plusieurs niveaux de lecture. Mais si l’on peut s’amuser de cette parabole cinématographique, c’est le polar pur qui marque, mécanique implacable qui se déroule sous nos yeux. Le tueur devient jeune homme fébrile, les flics héroïques deviennent répugnants, et la vengeance se met en marche.
Le film porte un titre qui peut sembler générique, « Vengeance, une histoire d’amour », il correspond pourtant parfaitement au film, dans lequel un grain de sable peut devenir une montagne. Le dénouement déroute quelque peu, entre une séquence très maladroite, manquant de faire tressaillir ce film impressionnant, et une autre assez ambigüe rappelant l’interrogation flottant sur le dernier plan de The Murderer. Mais derrière la maladresse, la conclusion morale se fait jour… La vengeance appelle toujours une autre vengeance.