La période embrassée entre les deux époques de prise de vue est passionnante. Elle aura vu la seconde guerre mondiale, les trente glorieuses accompagnant la Modernité, la récession, peut-être même la fin d’un modèle à force de soubresauts, et l’apparition d’une conscience environnementale qui prend aujourd’hui le nom de développement durable.
En s’appuyant sur ces images écartées par le temps mais réunies dans l’espace, je vais essayer de développer une réflexion sur le développement durable qui sera moins historique que ressentie. Je part pour cela d’un postulat, certainement erroné, qui est que le développement durable n’est autre qu’une nostalgie d’avant-garde, celle d’un futur contrarié et la prophétie d’un passé qui n’en fini pas.
Sans entrer dans la question sémiologique, il est intéressant, pour moi qui me préoccupe de l’inscription du temps dans la ville, d’interroger la formule “développement durable”, traduction non littérale de “sustainable development” apparue pour la première fois en 1980 dans un rapport de l'Union internationale pour la conservation de la nature. Avant le choix du terme durable, d’autres préfixent avaient été envisagés: viable, vivable, soutenable, défendable, désirable... La conscience d’un univers fini et la nécessité de revisiter le dogme du progrès continu nous ont poussé au préfixe temporel de durable. Ce dernier cache mal le malaise qu’il héberge puisqu’il sous-entend d’emblée un développement continu dans le temps ; comme si l’idée d’une pause ou d’un retour en arrière, même involontaire, devait être exclue. La question de la soutenance de la durée nous ramène aux lapses de temps des reconductions photographiques.
Deux reconductions de la rue principale d’une petite ville de France semblable à bien d’autres. Le tracé viaire n’a pas changé puisqu’il date du 18e siècle. L’usage de la voiture et la place qu’on lui accorde ont considérablement évolués et témoignent aisément de l’explosion de la consommation d’énergie fossile. Le cadre urbain change quelque peu mais l’usage de la voie apparaît ici plus fondamentalement. Comme partout, la place du Marché est devenue avant tout un parc de stationnement. Le cycliste, icône avant l’heure des modes dits doux, exprime à lui seul le retour triomphal du bon sens dans les déplacements pour devenir un symbole “hype” et métropolitain.
Ces images ne font pas référence aux deux chocs pétroliers de 1973 et 79, ni au tout premier rapport sur l'évolution du climat et les risques du réchauffement climatique publié 1990 par le GIEC, alors que dès 1972, le club de Rome attirait l’attention dans son rapport “The limits to growth”. Ces images n’ont l’air de rien et pourtant le protocole de Kyoto sur les changements climatiques de 1997 est passé par là voici 15 ans déjà et qu’il est grand temps d’agir, ici comme ailleurs, et durablement.