Plus j’avance en âge, plus je purge souvent ma bibliothèque. Les livres victimes des dernières descentes finissent à la brocante annuelle de mon village où l’on peut manger des frites, des gaufres et d’excellents michons, la spécialité diététique du coin. Je m’y promène en fumant un havane pendant que les nouvelles ligues de vertu n’ont pas encore réussi à interdire de fumer en plein air.
Une année, la lubie me prit de tenir moi-même un stand sous le regard horrifié d’une ancienne collègue de passage qui me crut tombé dans la misère et qui, à ma grande satisfaction, s’en alla claironner la nouvelle dans tout le canton.
Cette année, le rescapé de la brocante est le petit livre de V. S. Naipaul, Comment je suis devenu écrivain (poche 10/18). Il ne doit son salut qu’à quelques lignes relues par hasard:
« J’ai dit que j’étais un écrivain d’intuition. C’était le cas, et il en va encore ainsi aujourd’hui que je suis si près de la fin. Je n’ai jamais eu de plan. Je n’ai suivi aucun système. J’ai travaillé intuitivement. Mon but était chaque fois de faire un livre, de créer quelque chose de facile et d’intéressant à lire. À chaque étape, il me fallait travailler dans les limites de mes connaissances, de ma sensibilité, de mon talent et de ma vision du monde. Tout cela s’est développé livre après livre. Et il me fallait écrire ces livres, parce qu’il n’en existait aucun sur ces sujets qui me donnât ce que je voulais. Je devais défricher mon univers, l’élucider, pour moi-même. »
La photo du michon vient d'ici.