Les crises augmentent le chômage, tandis que les reprises ne le résorbent jamais complètement. Que faire ?
Par Guy Sorman, depuis Montréal, Québec
Dans toutes les démocraties, le taux de chômage détermine désormais le succès ou non d’une politique et l’issue des élections. Ce qui a conduit, entre autres, Barack Obama à annoncer des mesures d’urgence, dont il espère des résultats immédiats. Hélas ! le chômage ne répond pas aux injonctions politiques. Pire, on décèle une tendance de long terme dans les économies modernes, vers l’exclusion permanente de 10% des demandeurs d’emploi : les États-Unis, à cet égard, ne font que rejoindre l’Europe.Si l’on trace une courbe de la croissance sur ces trente dernières années et, en parallèle, une courbe de chômage, on constate que les crises augmentent le chômage, mais que les reprises ne le résorbent jamais complètement : les entreprises en récession procèdent à des gains de productivité qui leur évitent de recruter à l’identique quand la conjoncture s’améliore. Les récessions génèrent donc du chômage définitif, mais le progrès technique aussi en améliorant la productivité. La mondialisation contribue à cette tendance lourde : les emplois délocalisés ne reviendront jamais.
En principe, ces emplois disparus seront remplacés par des nouveaux, plus complexes. Cette « destruction créatrice » vertueuse supposerait une main-d’œuvre qualifiée pour de nouveaux métiers ; mais l’innovation accélérant plus vite que l’éducation, le décalage nuit aux moins éduqués qui se retrouvent, partout, les moins employés. Pour s’en tenir à la théorie classique, il suffirait alors que les rémunérations baissent pour que l’offre d’emploi s’ajuste à la demande ; mais cela devient faux quand les normes dominantes de nos sociétés excluent la flexibilité des salaires. Les rares pays qui, même en temps de crise, échappent au chômage (mais de moins en moins) sont ceux où les salaires sont flexibles par consentement comme en Corée du Sud ou au Japon, où les bonus sont supprimés et où, pour des raisons morales et légales, on ne licencie personne. En Occident, les valeurs collectives sont inverses de l’Asie et le licenciement l’emporte sur le partage des salaires. Il s’y ajoute, dans les économies occidentales, contribuant à la tendance vers le chômage permanent, l’organisation des entreprises et des marchés en citadelles imprenables, en recourant à des verrouillages syndicaux ou environnementaux : ceux qui ont un emploi le gardent et ceux qui n’en ont pas voient se réduire leurs chances d’en trouver un. Les plus jeunes sont les premières victimes de ces stratégies d’exclusion.
Décrire les causes d’exclusion du marché du travail est plus aisé que de préconiser des solutions. Au moins sait-on ce qui est sans effet : la relance publique. Celle-ci, dans le court terme, peut générer des emplois (politique de grands travaux de Roosevelt et Obama), mais temporaires ; dans un délai de 18 mois à trois ans, il en résulte toujours une dette publique qui mène à la déflation par l’augmentation des impôts ou la baisse des dépenses. Les aides fiscales à l’emploi obéissent à la même logique. Ce que les savants appellent le « multiplicateur keynésien », à l’expérience, n’existe pas : la dette ne crée jamais que du déficit et prive les entreprises de ressources pour la création d’emplois futurs.
Si l’on admet cette hypothèse d’un chômage de long terme, il me semble que l’on devrait sortir des raisonnements classiques, libéraux ou interventionnistes, pour développer un troisième secteur non marchand. Il existe déjà une économie du don, du partage, non profitable : mais ce secteur reste modeste dans les pays modernes, alors qu’il pourrait attirer des capitaux plus considérables (Fondations, dons) et recruter pour des secteurs porteurs comme la santé publique, la culture, la solidarité entre les générations, entres riches et pauvres dans les nations et entre les nations. Encourager ce troisième secteur, par des mesures publiques (fiscales entre autres) autant que par le civisme, ne serait pas un substitut aux politiques classiques (le libre échange, la stabilité monétaire, un marché du travail flexible, une concurrence vraie, des dépenses publiques modestes concourent à la croissance et à l’emploi), mais ce serait un début de réflexion sur le fait inédit et peu reconnu du chômage permanent.
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