On avait creusé et canalisé la source, et l'eau arrivait maintenantdans une citerne de marbre qui formait le centre du patio pavé de grès rougeautour duquel s'ordonnaient la maison et les écuries. Avec l'eau naquit laverdure; l'ombre engendra les formes abstraites et hérissées des cactus etl'exubérance touffue des maïs. On réalisa même une planche de melons, qui étaientlà comme des exilés de Perse, Une seule écurie dans le sévère style arabetournait le dos aux vents du large, tandis que se développaient en « L »un ensemble de magasins et de petits salons aux fenêtres grillagées et auxvolets de fer. Deux ou trois petites chambres, pas plus grandes que descellules de moines, donnaient directement dans une belle salle centraleoblongue au plafond bas, qui était à la fois le salon et la salle à manger; auune cheminée massive, blanche, aux linteaux décorés de motifs et de céramiquesarabes, et, à l'opposé, une table et des bancs de pierre rappelaient les réfectoiresdes anciens moines du désert. De riches tapis de Perse et des coffresmerveilleusement ouvragés démentaient toutefois la sévérité de la pièce. Tout étaitde cette simplicité contrôlée où reconnaît le plus haut raffinement du goût.Sur les murs blanc et sévères, entre les fenêtres grillagées où apparaissaientquelques magnifiques vues de la plage et du désert, quelques antiques trophéesde chasse ou de méditation comme: un pennon de lance arabe, un mandalabouddhique, des sagaies en exil, un arc pouvant encore faire son office pourchasser le lièvre, une cornette de yacht. Point de livres à part un vieux Coranà couverture d'ivoire et aux fermoirs de méta] terni mais plusieurs jeux decartes sur les appuis des fenêtres ainsi qu'un grand tarot pour jouer lespythonisses, et un jeu des familles. Dans un coin, aussi, un vieux samovar pours'adonner au penchant qui leur était commun à tous deux: le thé. Les travauxavancèrent lentement et avec bien des hésitations, mais lorsque, à la fin,incapable de garder plus longtemps son secret, il avait emmené Justine visiterla maison, celle-ci n'avait pu contenir ses larmes en courant d'une pièce àl'autre, s'arrêtant à chaque fenêtre pour contempler, ici l'image d'une mer d'émerauderoulant ses vagues sur le sable, là un paysage tourmenté de dunes qui, versl'est, s'estompaient dans la brume du ciel. Puis elle s'était assisebrusquement devant le feu d'épines, comme elle le faisait toujours, et elleavait écouté le doux battement de la mer sur le rivage, le piaffement deschevaux dans leurs nouvelles écuries de l'autre côté de la cour. C'était alorsla fin de l'automne, et, dans l'ombre moite qui tombait, des lucioles avaientcommencé leur danse, et ils s'étaient réjouis de voir que leur oasis abritait déjàd'autres vies que la leur. Ce que Nessim avait commencé, c'était maintenant àJustine de l'achever. La petite terrasse sous les palmiers fut prolongée versl'est et entourée de murs pour l'abriter des tempêtes de sable qui, malgrécela, la recouvraient en hiver d'une couche atteignant parfois vingt centimètresd'épaisseur. Une bordure de genévriers fournit une première couche d'humus quinourrirait plus tard les premiers buissons, qui s'étendraient à leur tour etpermettraient ensuite à de plus grands arbres de subsister. Pour remercier sonmari de tant d'attentions, elle fit aménager dans l'angle des bâtiments unpetit observatoire renfermant un télescope grossissant trente fois où Nessimpourrait se livrer à son passe-temps favori, l'astronomie. Nessim passait làdes nuits entières en hiver, vêtu de sa vieille abba couleur de rouille, àcontempler gravement Bételgeuse ou à compulser des tables de calcul tel unastrologue du Moyen Âge. Leurs amis venaient aussi y regarder la lune, ou même,en abaissant la lunette, les nuages de perles que la ville, de loin, semblaittoujours exhaler.