Que faire le 11 septembre ?

Publié le 10 septembre 2011 par Marc Lenot

Plutôt que de lire Paris-Match ou de regarder les mêmes images en boucle à la télé, si vous voulez que le dixième anniversaire du 11 septembre reste imprimé à jamais dans votre esprit, j'ai l'endroit qu'il vous faut, rue Léon, à la Goutte d'Or, à l’Institut des Cultures d’Islam. L’exposition Islam & the City (jusqu'au 17 septembre seulement) y montre plusieurs travaux sur la présence des musulmans dans les villes américaines, mais il faut aller tout droit d’abord, ne pas se laisser distraire et entrer dans ce qui pourrait être une chapelle. Au sol, un parterre de pétales de roses (marocaines) répand un parfum capiteux où se mêlent senteurs amoureuses et odeurs funéraires. Sur les roses sont posés cent vingt petits masques de céramique blanche, non point des masques mortuaires réalistes, mais des visages africains peut-être, aux pommettes hautes, aux traits stylisés, deux fentes pour les yeux, une autre pour la bouche, tous identiques, tous fragiles. Certains sont vierges, blancs, solitaires, mais la plupart sont ornés de courts textes en arabe. C’est alors qu’on découvre que ces textes sont des prières pour les morts dans chacune des trois religions du livre : prière des morts chrétienne, kaddish juif et prière musulmane de l’absent, et leur langue commune est l’arabe, promu ainsi langue universelle du deuil et de la compassion, du recueillement et de la mémoire, langue de paix et non de violence. Ceux dont le visage n’a pas été calligraphié sont-ils en dehors, exclus, ou bien la prière universelle les englobe-t-elle aussi ?

La forme que dessinent au sol les roses, d’abord rectangulaire, se dissout, se dissipe, s’envole et on peut y deviner deux tours voisines qui se disloqueraient ; les masques d’abord bien alignés, sortent du rang, défont l’harmonie minimale de leur construction, la géométrie s’efface, l’ordre n’est plus. Les idées reçues s’envolent, le vent souffle, la prière s’impose. Au mur, deux jeunes hommes, en photo, semblent prier eux aussi ; on ne sait d’où ils viennent – ou peut-être sont-ils les terroristes. Mais il n’y a plus ici de vengeance, de lutte, d’anti-terrorisme, de revanche, il n’y a plus que 120 masques pour 2995 morts. Pour qui était habitué à la magnificence baroque du travail de Majida Khattari sur le corps féminin, cette pièce pure, émouvante, mélancolique est une surprise. C’est bien là qu’il faut aller le 11 septembre.

L’ICI propose aussi un programme de rencontres et de musique (dont la projection des photos de Here is New York le 11), et, toujours sur le thème de l’Islam et de la ville, les travaux d’autres artistes : un film de mounir fatmi sur Mohamed Ali (et une photo de son installation sur Manhattan) [il vient d’exposer au Museum on the Seam, musée privé et ‘progressiste' à Jérusalem, et il y a eu quelques controverses], un beau reportage sur les new-yorkais musulmans de Bénédicte de Montlaur et Keith Yazmir, des portraits burlesques de Yasmina Bouziane et des vignettes politiques du collectif Visible (avec une série choc de Steven Meisel, montrant des mannequins aux prises avec des contrôles de sécurité).

Photos 3, 4 & 6 de l'auteur; photos 1, 2 & 5 courtoisie ICI et Majida Khattari.